De la fantaisie un peu appliquée

par

La Cenerentola de Rossini
Julien Lubek et Cécile Roussat, tous deux élèves de l'École internationale de Mimodrame Marcel Marceau, sont comédiens, clowns, metteurs en scène ou chorégraphes, à l'envi : on se souvient de leur merveilleuse Flûte enchantée de Mozart, pleine de poésie, qui avait ravi le public lors du spectacle donné fin 2010 sur cette même scène de Liège. Le miracle ne s'est pas renouvelé, hélas. Ou du moins pas entièrement. Le plateau tournant, poussé par des figurants, offrait plusieurs décors, chacun plutôt réussi. D'autres figurants commentaient l'intrigue avec bonheur, ces acrobates, par exemple, durant le quintette du premier acte. Oui, cela bougeait, c'est certain, et on ne s'ennuyait pas. Si les ensembles péchaient un peu par immobilisme, les airs des protagonistes se trouvaient, eux, bien dirigés. Don Magnifico a ébloui dans sa grande scène du sommelier, faisant apparaître moult bouteilles de vin et... les buvant ! Alidoro, en bon sorcier tout de noir vêtu, et Dandini, en caricature de Napoléon, étaient tout aussi fignolés par les metteurs en scène. Par contre, le grand finale de confusion de l'acte I ne tourbillonnait pas assez, et l'apparition, sur la table du banquet, d'un cygne et d'un renard en peluche, que l'on se mit à découper laborieusement, paraissait bien lourde, sans parler de grotesques bébés clignotants ou de promenades "comiques" de l'âne du rêve de Magnifico. Quant à Angelina, elle était bien laissée à elle-même, la pauvre, et son jeu manquait tout à fait d’assurance. Bref, on sentait un peu trop l'effort : il fallait faire amusant pour le public qui, il faut le reconnaître, riait de bon coeur. Rappelons que le livret du "dramma giocoso" de Rossini (1817) exclut toute magie, et qu'il n'y a donc ni fée, ni carrosse, ni pantoufle de vair (un simple bracelet fait ici l'affaire). Il se rapproche de celui de la Cendrillon de Nicolo Isouard (1810) mais il s’éloigne beaucoup de celui de l'opéra de Massenet de 1899, devenu familier ces dernières années. Musicalement, la représentation a été dominée par l'admirable Angelina de Marianna Pizzolato, chaleureuse, envoûtante, et parfaitement à l'aise dans le très attendu et redoutable rondo final "Nacqui all' affano". Une belle incarnation vocale. Don Magnifico, un des rares rôles de baryton"méchant" des opéras bouffes de Rossini, a trouvé en Bruno De Simone un interprète idéal, en particulier par une articulation syllabique poussée à l'extrême. Qualité essentielle, que l'on retrouvait aussi chez Dmitry Korchak, Don Ramiro fort avenant de sa personne : leur duo à l'acte I constitua l’un des sommets de la représentation. Malheureusement, ses aigus étaient moins princiers et souvent arrachés, quoique justes. Rien à dire de l'Alidoro somptueux et pertinent de Laurent Kubla, ni du Dandini loufoque d'Enrico Marabelli. Sarah Defrise et Julie Bailly complétaient la distribution, en soeurettes aussi sottes que bien chantantes. Chef maison et très apprécié, Paolo Arrivabeni a su trouver le tempo idéal pour soutenir ses chanteurs : l'air d'entrée d'Angelina était un petit bijou, tout comme le sextuor de l'acte II, deux exemples de direction rossinienne idéale. Bilan réussi musicalement donc, mais un peu mitigé au niveau scénique, parce que, tout simplement, on attendait davantage de ceux qui avaient tant ébloui dans Mozart. Un dernier petit point : le programme de salle ne contenait aucun renseignement sur les interprètes : un oubli, espérons-le.
Bruno Peeters
Opéra Royal de Wallonie, Liège, le 21 septembre 2014

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