De la Maison des Morts à La Monnaie

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La saison se poursuit à La Monnaie avec l’escale très attendue de la production du dernier chef d’oeuvre de Leoš Janáček Z mrtvého domu (De la Maison des Morts) dans la mise en scène de la star de la scénographie Krzysztof Warlikowski. Production créée au Royal Opera House de Londres au printemps dernier et qui sera à l’opéra de Lyon dans les prochains mois.

Bien évidemment l’univers carcéral, sa violence intrinsèque, son misérabilisme affectif et sa déshumanisation sont un terreau de choix pour les relectures au scalpel du scénographe. Les comportements sont scannés, les humeurs sont sur-analysées dans un geste qui sait tirer le meilleur des chanteurs tout en animant la narration de diverses sous actions. Krzysztof Warlikowski sait toujours diriger aussi magistralement ses chanteurs, c’est sur ce point toujours exemplaire ! Le décor brutaliste de Małgorzata Szczęśniak est naturellement bien assorti à cette vision. Cependant, on peut trouver que Krzysztof Warlikowski reste relativement prisonnier d’une lecture premier degré, à l’image de cette vidéo d’introduction où Michel Foucault parle de la prison ou de certains tics de mise en scène surlignés au gros marqueur comme ces gardiens, sanglés dans leurs tenues anti-émeutes façon Robocop qui dealent la drogue entre eux et avec les détenus ou encore ces autres détenus aux frontières de l’overdose pris de convulsions nerveuses frénétiques ! Krzysztof Warlikowski et son équipe signent une belle réalisation mais qui reste un peu trop premier degré, loin de la force légendaire du spectacle mythique de Patrice Chéreau.

La distribution est très solide et elle comporte des chanteurs dont certains sont rompus aux rôles : le ténor canadien Pascal Charbonneau, formidable Aleja, ou son compère Štefan Margita, fabuleux Filka Morozov. Bien connu des spectateurs de La Monnaie, Sir Willard White est un magistral Alexandr Petrovič Gorjančikov. L’engagement de la distribution, qui ne souffre d’aucune faiblesse, force l’admiration : Nicky Spence (le grand prisonnier /le prisonnier à l’aigle), Ivan Ludlow (le petit prisonnier), Alexander Vassiliev (le commandant), le vétéran Graham Clark qui fait même ses débuts à La Monnaie (le vieux prisonnier), Ladislav Elgr (Skuratov), John Graham-Hall (Kedril) ou Natascha Petrinski (la prostituée). Le choeur, bien préparé par Martino Faggiani, est un autre point de satisfaction vocale.

La grosse déception réside dans la fosse ! Pourtant rompu aux musiques contemporaines exigeantes et coutumier des grandes maisons lyriques germaniques, Michael Boder est terriblement décevant à la tête d’un orchestre symphonique de La Monnaie livré à lui-même ! Pourtant la musique de Leoš Janáček est dans l’ADN de la phalange bruxelloise et on se souvient de tant de grandes soirées ! L’oreille reste bien triste devant ces décalages, ces sonorités peu flatteuses, ces couacs et cette absence totale d’adéquation dramaturgique avec les chanteurs : un avion sans pilote !

Théâtre Royal de La Monnaie, 10 novembre 2018

Pierre-Jean Tribot  

Crédits photographiques :  B. Uhlig

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