De l'art de traiter les passions en musique

par
Monteverdi

Claudio MONTEVERDI
(1567 - 1643)
Clorinda e Tancredi – Scènes d'amour
Combattimento di Tancredi e Clorinda-Scherzi musicali, extraits-Madrigaux extraits des 7ème, 8ème et 9ème livres
Giovanni Felice SANCES
(1600 - 1679)
Usurpator tiranno
Francesca LOMBARDI MAZZULLI (soprano), Luca DORDOLO (ténor), Cantar Lontano, dir.: Marco MENCOBONI
2017-DDD-70'-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Glossa GCD 923512

Comme le suggère son titre, ce disque est centré autour de ce joyau unique dans l'histoire de la musique qu'est le Combattimento di Tancredi e Clorinda de Claudio Monteverdi. Au moment de sa composition, en 1624, le madrigal a beaucoup évolué depuis sa forme première: la polyphonie riche mais nuisant à l'intelligibilité du texte se simplifie, le genre se dramatise, se met en scène et l'on assiste à un genre qu'on n'appelle plus, d'ailleurs, « madrigal » mais « concerto », « canzonetta », « concertato per una voce », etc. Monteverdi, quant à lui, maintiendra « en parallèle » les deux styles et n'hésitera pas à les laisser se côtoyer dans ses cinq derniers livres de madrigaux. Le principal artisan de ce passage, outre Monteverdi lui-même, est Giulio Caccini qui, dans Le nuove musiche, développe des innovations qui infléchiront le cours de cet art de façon définitive. La « soumission de la musique au mot », comme le dit la notice, date de cette époque, une nouveauté qui débouchera sur la dramatisation de toutes les situations humaines: amour, désir, pleurs, colères, guerres, combats. Une évolution, qui se fera de plus en plus descriptive, dans la manière d'exprimer les sentiments qui mènera bientôt à sa forme la plus accomplie: l'opéra. Il Combattimento, résultat d'une commande vénitienne, provient de la Jérusalem délivrée du Tasse, un épisode qui voit la musulmane Clorinde, méconnaissable dans son armure, affronter son amant, le chevalier Tancrède, lequel ignore bien entendu l'identité de son adversaire, dans un combat singulier qui est fatal à la dame. Les cavalcades, les coups d'épée, si réalistes, saisissent aujourd'hui encore; la surprise douloureuse lorsque Tancrède découvre l'identité de son ennemi, le désespoir sans fond du vainqueur, l'apaisement final de Clorinde étreignent toujours autant l'auditeur. Troisième personnage du drame, le narrateur a la présence qu'aurait aujourd'hui un journaliste au beau milieu d'un champs de bataille. Le reste du programme demeure lié à ce chef-d'oeuvre inclassable. Bel pastor est l'une des pièces que Monteverdi souhaitait voir interprétées avant l'exécution du Combattimento pour souligner davantage encore la violence de ce dernier. Tout comme lui, le Lamento della ninfa a été introduit dans le 8ème livre de madrigaux. Il se rapproche de ce dernier par l'expression sans fausse pudeur des sentiments humains. Il en est de même de la Lettera amorosa à la sensualité presque palpable. Enfin, dans Si dolce è il tormento, rien n'atténue l'amertume du mot, le feu des passions. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'interprétation prend un soin tout particulier à mettre en avant toute la modernité de ce style à nul autre pareil, toute son opulence, et son génie aussi. Par ailleurs, est-il possible de rater le Combattimento? On ne connait en effet que peu d'artistes qui n'aient été convaincants dans ce miracle musical. Ici, l'accompagnement est tout de velours, préfère les délicates caresses à des accents plus martiaux. Le lyrisme du narrateur de Luca Dodolo tient le public en haleine et rappelle d'ailleurs Laerte Malaguti qui a tant oeuvré, il y a plus de cinquante ans dans la version fondatrice d'Edwin Loehrer pour faire renaître cette page et rendre curieux un public qui ignorait encore presque tout de Monteverdi. Marco Mencoboni a le sens du spectacle mais ne tombe jamais dans aucun travers outrancier. Bien au contraire, la grande subtilité de sa direction, qui se ressent jusqu'au moindre ornement de clavecin ou de théorbe, sert cette musique avec à propos et élégance vivace. Cet engagement est perceptible tout au long du disque et les voix, particulièrement flexibles et expressives, telles que celle de la soprano Francesca Lombardi Mazzulli, bondissent littéralement sur ces portées qui incitent à la liberté et à la fantaisie, que ce soit dans la verve de Voglio de vita uscir ou de Maledetto sia l'aspetto (Scherzi musicali) ou l'étrangeté des dissonances du Lamento della ninfa. En bref, un disque qui, en 70', résume de manière très réussie un art à la fois délicat et violent, à l'égal des passions humaines.
Bernard Postiau

Son 9 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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