Debussy et ses interprètes

par

Claude DEBUSSY (1962-1918)
Album Debussy. Le compositeur et ses interprètes

1904-1955-3 CD- 3h46'39- Présentation en anglais, français et japonais-Chanté en français- AEON 2012 AECD 1215
Après s'être consacré à Fauré (Biographie au Seuil, Correspondance chez Flammarion...) Jean-Michel Nectoux s'est tourné vers Debussy y apportant à nouveau sa parfaite connaissance de l'époque et son enthousiasme («Harmonie en Bleu et Or» 2005 réédité en 2012 Fayard). Heureuse «correspondance» avec la remarquable exposition à l'Orangerie des Tuileries intitulée «Debussy, la musique et les arts»(février à juin 2012) là encore placée sous sa supervision  ; voici qu'il présente un coffret de 3CD ressuscitant les interprètes du maître: un travail très intéressant présenté par rubrique voix-piano/ piano solo/ orchestre/ opéra -où l'on note l'absence de la musique de chambre- qui ordonne chronologiquement des enregistrements éparpillés plus ou moins connus et les met judicieusement en perspective. L'écoute suscite quelques réflexions. Elle incite d'abord à nuancer des opinions acquises. Ainsi de Mary Garden, créatrice du rôle de Mélisande  : chantait-elle aussi bien qu'on en a transmis le souvenir, enjolivant le passé? Pas vraiment à écouter Green avec le compositeur au piano..., ou «Mes longs cheveux (Acte III, sc.1) là encore en compagnie de Debussy. Comment cette voix, cette diction impossible, ce vibrato nerveux, ce timbre impersonnel ont-ils pu enjôler autant de debussystes? A l'écoute de Green, on a l'impression que Debussy lui même cherche à en finir le plus vite possible. Ensuite, la technique  : impossible de minimiser l'art de certains interprètes alors que les moyens d'enregistrement faussaient le timbre et donc l'écoute. De même fallait-il parfois accélérer le débit à cause des 5 minutes d'enregistrement accordées et «faire avec» les frottements de l'aiguille qui couvrent parfois... l'orchestre! Et évidemment les enregistrements les plus tardifs sont les meilleurs. Enfin, dernière constatation l'art du chant comme la conception de la beauté sont tributaires du temps et l'on peut en suivre les caprices au fil des dates de naissance des interprètes. Comment chantait-on il y a un siècle? L'exemplarité d'une telle confrontation devant nous rendre singulièrement modeste: en art il y a aussi des degrés. Et là, l'exemple des orchestres est instructif ainsi que l'engagement de leurs vaillants chefs: le wagnérien Chevillard (1854-1923) créateur des Nocturnes et de La Mer et de tant d'oeuvres contemporaines (Franck, Fauré, D'Indy ...) apparaît assez peu investi dans L'Après-midi d'un Faune pris relativement vite (7'13) quand, huit ans plus tard le glorieux Walther Staram s'impose en 9' envoûtantes. De même Toscanini-le-pressé s'avère t'il plus lent ( un comble!) que Roger Desormière captivant, debussyste entre tous ( ne lui doit-on pas un Pelléas quasi insurpassé?) qui mène à 22'53 contre...23'25! Sans omettre évidemment, au pupitre pour deux des Nocturnes, Pierre Monteux. S'ajoutent des noms naguère illustres mais assez oubliés aujourd'hui ( le pianiste russe Benno Moïseivitsch -1890-1963- dans les Jardins sous la pluie, le catalan Ricardo Viñes-1875/1953- créateur de maintes partitions contemporaines aussi...); des noms célèbres hier et gravés dans la mémoire collective se croisent en revanche à longueur de disque: Claire Croiza à la parfaite diction, les ultra musiciennes Jane Bathori et Irène Joachim – dont l'émission naturelle, le superbe phrasé, l'intelligence poétique firent pleurer le public de l'Opéra Comique lorsqu'elle chantait Mélisande. Sans oublier Ninon Vallin, voix radieuse, apprenant le matin même de la création du Saint Sébastien au Châtelet que Debussy «exige» que ce soit elle qui chante tous les soli: folle intrépidité qui lui vaut un succès aussi foudroyant que durable! Et puis comment ne pas admirer l'art parfait de clarté, d'élégance de ces grands «diseurs» que furent Dufranne, Vanni-Marcoux et plus encore Panzèra. Enfin, Rachmaninov ajoutant un zeste de jazz au Cakewalk ou le geste sobre de la pianiste Marcelle Meyer. Et comme on a bien fait de joindre en Bonus le nom d'André Caplet avec Forêt, fidèle entre les fidèles des Debussy! Un album inclassable, non exhaustif mais d'un intérêt esthétique, historique autant que musical!
Bénédicte Palaux Simonnet

Son 9 - Livret 9 - Répertoire 9 - Interprétation 9 

Les commentaires sont clos.