Des bardes à Versailles !

par

Uthal de Etienne Nicolas Méhul
En 1806, Méhul est à l'apogée de son talent. Auteur acclamé de nombreux opéras et opéras-comiques tels que StratoniceAdrien ou L'Irato, il abordera bientôt la symphonie, qu'il illustrera à quatre reprises, juste après la composition de son chef-d'oeuvre, Joseph (1807). Sans conteste, il représente la musique française de son temps. C'est alors que, surfant sur la vague ossianique, il écrivit Uthal.

Ossian était ce barde gaélique inventé par le poète MacPherson, et auteur de nombreux écrits dérivés d'un folklore imaginaire. La mystification réussit parfaitement et l'oeuvre se répandit avec succès dans toute l'Europe. En 1804 déjà, Lesueur avait composé son Ossian ou les Bardes. Le nouvel opus de Méhul rencontra donc une audience immédiate, sans pourtant s'inscrire au répertoire. On lui reprocha une atmosphère uniformément grise et monotone. Pour respecter le caractère mélancolique du sujet, Méhul avait demandé aux violonistes de l'orchestre de troquer leurs violons pour des altos, ce qui pour sûr assombrissait le climat général. L'opéra est bref (un peu plus d'une heure), et compte un grand nombre de dialogues. Le livret est axé sur les sentiments déchirés de Malvina, qui doit choisir entre la piété filiale due à son père, le chef Larmor, et son amour passionné envers le rebelle Uthal. La situation est commentée par un ensemble de bardes, dont les interventions marquent le meilleur de l'oeuvre. L'action est réduite à sa plus simple expression, et l'opéra se fait souvent cantate. Qu'importe, la musique est fort belle et d'un intérêt soutenu. Il y a deux très beaux airs, l'un pour Uthal et l'autre pour Malvina, et surtout, comme on l'a dit, un choeur de bardes (avec quatre solistes) qui fait partie intégrante des ensembles ("Près de Balva, sur le nuage, je vois deux fantômes assis" est superbe). Et la scène finale, qui voit se réaliser une réconciliation inattendue, a beaucoup de grandeur. Elle a d'ailleurs été bissée au concert par les Talens Lyriques et un Christophe Rousset très chaleureusement applaudis par un public des plus attentifs. La fine fleur du chant français participait à cette résurrection passionnante : Karine Deshayes (Malvina), Yann Beuron (Uthal), Jean-Sébastien Bou (Larmor), Sébastien Droy (Ullin). Le Choeur de Chambre de Namur soulignait à l'envi la richesse de l'écriture chorale de Méhul. Une magnifique soirée d'un opéra en version concert qui sera enregistrée, comme toutes les productions du Palazzetto Bru Zane. Après Adrien, récemment paru chez Alpha, et les dernières symphonies chez Kapella, commentées ici même, il ne restera plus qu'Ariodan pour connaître sur CD toutes les partitions importantes de Méhul. Justice est rendue envers un très grand musicien français.
Bruno Peeters
Château de Versailles, Opéra Royal, le 30 mai 2015

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