Des Shakespeare étincelants !

par

Joachim RAFF
(1822-1882)
Symphonie n°2 – Quatre Préludes de Shakespeare : La Tempête, Roméo et Juliette, Macbeth, Othello.

Orchestre de la Suisse Romande, dir.: Neeme Järvi
2013-DDD-77’ 47’’-Textes de présentation en anglais, français et allemand- Chandos CHSA 5117

On se souvient de l’impressionnante intégrale des onze symphonies de Raff dirigée par Hans Stadlmair et publiée en 9 CD chez Tudor, critiquée ici même. Elle nous avait fait découvrir cet excellent musicien, au langage traditionnel sans doute, mais aux belles envolées orchestrales. L’infatigable Neeme Järvi envisagerait-il une nouvelle intégrale ? L’auteur du texte de présentation est bien enthousiaste sur la musique de Raff : “Le tour de force du développement d’action secondaire polyphonique au milieu de tous les morceaux thématiques d’exposition est remarquablement homogène et intéressant, servant à faire augmenter le niveau énergétique à un très haut degré”. Si vous n’êtes pas convaincu après cela… La seconde symphonie, de 1866, se déroule de manière fort agréable, mais sans grandes surprises, un peu comme du Mendelssohn sans génie. Seul le finale, bien construit, enlevé et joyeux, se distingue un peu. Beaucoup plus intéressants se révèlent les quatre préludes orchestraux d’après Shakespeare, tous datant de 1879. Hormis ceux pour La Tempête et Othello, il semblerait qu’il s’agît ici de premières mondiales. Raff fut un temps secrétaire de Liszt, et l’assista en tant que tel pour l’orchestration de ses poèmes symphoniques. Les quatre préludes sont de même belle et fière allure. Le plus impressionnant – et le plus long – est celui consacré à La Tempête. Raff y brosse d’abord la tempête du titre, puis détaille amoureusement les cinq rôles principaux : le noble Prospéro, un Ariel tout aérien, Ferdinand amoureux et aux abois, Miranda tendrement répondante et le lourd monstre Caliban. Le développement suit, très vivant, bien construit, et alterne de façon constante et habile les motifs exposés précédemment. Dix minutes d’aventures exaltantes se terminent par une joyeuse danse un rien archaïsante. Coda calme et sereine. Un exemple de poème symphonique parfaitement réussi. Macbeth l’est tout aussi, d’ailleurs, et suit un peu la même structure. Sabbat de sorcières, caractérisation des personnages, Macbeth et son épouse entremêlés. On verra /entendra l’arrivée du Roi Duncan et son assassinat. Un fugato énergique esquisse la destinée des époux maudits. Sur fond de batterie retentit une marche sourde: celle de la forêt de Birnam ? Crescendo et marche triomphale. Bien plus courts, les deux préludes suivants seront plus atmospériques que descriptifs. Il est peu probable que l’auditeur ne suive l’ineffable auteur de la pochette, qui décèle un “sens cubiste de l’achitecture musicale” ou même une prémonition de Webern (sic). Il y entendra plutôt des évocations de l’ambiance dramatique qui baigne les deux tragédies. Si Roméo et Juliette dépeint moins les émois des amoureux de Vérone que la rage de leur entourage fanatique, Othello souligne la montée implacable de la défiance entre le More de Venise et Desdémone pour aboutir au meurtre final. Sans crier au génie, il faut avouer que ces quatre préludes shakespeariens s’avèrent de très beaux exemples de poèmes symphoniques, en tous points dignes de ceux du Maître de Raff, Franz Liszt. L’interprétation superlative de Järvi et la prise de son toujours éclatante de Chandos concourent à la réussite exemplaire de cette parution.

Bruno Peeters

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 8 - Interprétation 10

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