Deux pianistes remarquables au Festival Musiq3

par
Lewis

Paul Lewis

On sait que le Festival Musiq3 (reprenant la formule à succès des Flagey Piano Days hivernaux) a souvent la main heureuse pour présenter au public des pianistes dans de petits récitals d’environ 50 minutes qui obligent les interprètes à faire leurs preuves dans ce qui correspond à un demi-récital standard. 

Et parmi la foule de concerts de ces 3 jours, il me fut possible d’assister à deux récitals extrêmement convaincants. D’abord, samedi soir, celui de Paul Lewis, valeur sûre du piano d’aujourd’hui avec un penchant naturel pour les classiques viennois à qui il rend si bien justice. Le pianiste de Liverpool ouvrit son programme par les Bagatelles op. 119 de Beethoven , dont il rendit particulièrement bien le côté aphoristique, sensible à l’atmosphère de ces pièces parfois rudes et parfois tendres, où il sut faire preuve -comme dans la quatrième pièce de la série- à la fois d’une patience merveilleuse et d’une délicate sensibilité. (Et on appréciera son recours très modéré à la pédale.)
On sera particulièrement reconnaissant à l’artiste d’avoir mis à son programme la merveilleuse Sonate n° 47 en si mineur (Hob XVI:32), où, dès le premier mouvement, il mit superbement en évidence le génie bondissant et imprévisible du compositeur, son sentiment sans artifice dans le mouvement lent, comme l’irrésistible joie de vivre du finale.
C’est dans un tout autre univers que Lewis amena les mélomanes dans l’op. 119 de Brahms, dernières oeuvres pour piano du maître de Hambourg, où l’on pénètre dans le domaine de l’intime et de la confidence, puis celui de la douceur et de la nostalgie avant l’inattendu chant triomphant de la Rhapsodie qui conclut le cycle.

Kolesnikov
Pavel Kolesnikov

Quant au récital de Pavel Kolesnikov qui se produisait dimanche après-midi, quel dommage qu’on n’ait pu l’entendre -comme Paul Lewis- dans l’acoustique parfaite du Studio 4, plutôt que dans l’atmosphère claustrophobe du petit Studio 1 où l’auditeur a parfois l’impression d’avoir la tête sous le couvercle du grand Steinway bien trop puissant pour les dimensions du lieu. Mais même cette acoustique ingrate ne put ternir l’extraordinaire prestation du jeune artiste russe qui articula son récital autour des 6 pièces du Children’s Corner de Debussy, entrelardées de morceaux soigneusement choisis, à commencer par trois extraits de Ein Kinderspiel de Helmut Lachenmann (dont la Schattentanz qui ouvrait le programme avait l’air d’avoir été composée pour un piano-jouet, se limitant à un subtil jeu percussif dans l’extrême aigu de l’instrument). Le pianiste sibérien offrit aussi une superbe interprétation, fière et sans alanguissements ni brutalité, de la Mazurka op. 30 n° 4 de Chopin, une renversante version de la Campanella de Liszt, ainsi qu’un Prélude en do dièse majeur du deuxième libre du Clavier bien tempéré de Bach parfait d’équilibre et d’éloquence. Quant à son Debussy, il n’appelle que des éloges: en dépit des conditions acoustiques imparfaites, chaque pièce du Children’s Corner fut parfaitement ciselée, avec un "Gradus ad Parnassum" pince-sans-rire, une "Snow is Dancing" d’une touchante délicatesse et un "Golliwog’s Cake-Walk" dont l’humour était rendu sans la moindre exagération et une parfaite maîtrise rythmique. L’approche de Debussy claire, limpide mais sans froideur de Kolesnikov connut son apothéose dans une Cathédrale engloutie de toute beauté.
Patrice Lieberman
Festival Musiq3, Flagey, samedi 30 juin et dimanche 1 juin 2018

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