Deux Ravel superbes et un Schmitt tout neuf

par

Maurice RAVEL
(1875-1937)
Concerto pour piano et orchestre en ré majeur pour la main gauche - Concerto pour piano et orchestre en sol majeur
Florent SCHMITT
(1870-1958)
J'entends dans le lointain..., pour piano et orchestre
Vincent LARDERET (piano), Orchestre Symphonique Ose, dir.: Daniel KAWKA
2015-SACD-53' 45''-Notice en allemand, français et anglais-Ars Produktion ARS 38 178

Même s'il adore les deux concertos pour piano de Ravel, le mélomane aguerri -et donc curieux- se tournera tout de suite vers cet étrange vers de Lautréamont, extrait des Chants de Maldoror : "J'entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.", tel que mis en musique par Florent Schmitt. Il en connaissait, peut-être, la version originale, pour piano seul, enregistrée chez Naxos, déjà par Vincent Larderet, en 2011. Cette pièce imposante (11' 49'') fait partie d'un cycle, Ombres op. 64, composé en 1917. L'orchestration du premier des trois morceaux que comporte l'ensemble date de 1930. Il est bien sûr passionnant d'écouter les deux versions l'une après l'autre. Celle-ci, donnée en première mondiale, est plus facile d'accès, plus poétique et moins abrupte : Schmitt était un orchestrateur hors pair et Michel Fleury, dans sa notice, a raison de souligner "la richesse du timbre orchestral renforçant l'intensité presque expressionniste de la partition." L'oeuvre anticipe la Symphonie concertante que Schmitt allait écrire un an plus tard, touffue parfois aussi, mais toujours flamboyante. Pierre-Octave Ferroud notait que cette pièce exigeait "un interprète souple, et qui accepte de collaborer à l'oeuvre avec l'adhésion complète de sa compréhension" : elle l'a trouvée en Vincent Larderet. Mais aussi en Daniel Kawka, chef attentif qui ose jouer le jeu de la puissance avec un orchestre créé par lui, et qui illustre la partition tout autant qu'il soutient le pianiste. Cette entente excellente se retrouve dans les bien célèbres concertos de Ravel. Les tempi sembleront un peu lents pour le Concerto en ré, parfois même alanguis, mais ils ne nuisent pas au caractère sombre et dramatique de l'ensemble. Le jeu de Larderet, très puissant lors de son entrée, se réduit de manière exquise ensuite pour détailler la dentelle ravélienne à la perfection (à partir de 6'05''). La marche manque-t-elle un peu de nerfs à son début ? Les interprètes soulignent son relief en insistant sur les moments de répit, petits instants miraculeux évoquant L'Enfant et les sortilèges. Tout cela est joliment dessiné par Vincent Larderet, qui poursuit en dirigeant d'une seule main de fer l'implacable progression orchestrale avec fièvre, jusqu'à l'explosion. Ce sens de la gradation attentive se retrouve durant la cadence, où son jeu agile et perlé fait merveille, jusqu'à l'assourdissant martèlement final. Toutes ces qualités se cristallisent dans le Concerto en sol, durant lequel l'orchestre aussi charme et séduit par sa virtuosité instrumentale : les bois, mais également la harpe ou la trompette, débordent d'éclat. Sans oublier le fouet ! Flûte et cor anglais assurent un accompagnement ému au balancement enchanteur de la mélodie de l'"adagio assai", interprété avec grande délicatesse par un Larderet au sommet de ses moyens dans la reprise finale. Après un départ un peu mou, les interprètes se reprennent vite pour terminer le concerto par un mouvement "presto" échevelé, pour le plus grand plaisir d'une grosse caisse déchaînée. Une parution équilibrée, avec deux concertos remarquables, une découverte passionnante, et des interprètes totalement en phase : tout pour plaire au mélomane -même non aguerri.
Bruno Peeters

Son 8 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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