Deux soirs à Saint-Pétersbourg

par

Concert Hall Mariinsky
Khachatourian : Concerto pour piano en ré bémol majeur op. 38 - Rachmaninov : Symphonie N° 3 en la mineur op. 44
The Ural Academic Philarmonic Orchestra dirigé par Dimitry Liss - Boris Berezovsky: piano

Petite Salle de la Philarmonie de Saint-Pétersbourg
Beethoven : Sonate pour violoncelle et piano n°2 op.5 en sol mineur - Schumann : Fantasiestücke pour violoncelle et piano op. 73 - Poulenc : Sonate pour violoncelle et piano - Debussy : Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur
Dimitry Eremin: violoncelle - Inga Dzektser: piano

Berezovsky dans Khachatourian, c'est Perlemuter dans Ravel, Samson François dans Chopin, Sokolov dans n'importe quel répertoire. Bref, Berezovsky dans Khachatourian ça colle parfaitement. Boris Berezovsky est toujours aussi impressionnant face à un piano ; impressionnant de facilité, de maîtrise et de calme. Sa puissance est assez incroyable; avec peu de gestes et de mouvements, il inflige une sévère correction au piano qui s'en sort bien souvent avec quelques cordes cassées. Le Concerto pour piano de Khachatourian composé en 1936 pour le pianiste russe Lev Oborin a connu rapidement un grand succès, c'est un des concertos fétiches du pianiste. Dès l'entrée, il est à l'aise, il a joué cette oeuvre des centaines de fois, il n'a aucune crainte bien que l'oeuvre soit techniquement redoutable. A aucun moment on ne sentira Berezovsky débordé par les événements, il survole l'oeuvre littéralement, ce qui ne l'empêche pas d'être musicalement impliqué. On retient son souffle dans le magnifique second mouvement, Berezovsky se fait tendre, émouvant et lyrique. L'orchestre quant à lui est tout à fait au niveau du pianiste. Mention spéciale pour les percussionnistes qui rivalisent de puissance avec lui. La puissance n'est pas que la seule qualité de Berezovsky, il propose aussi un jeu très régulier, clair et volubile ; parfait pour tous ces ornements et ces petites notes qui donnent une couleur si folklorique au concerto. Magnifique première partie. L'énergie qu'on avait entendu dans Khachatourian s'est retrouvée dans la Troisième Symphonie de Rachmaninov, assez complexe du point du vue architectural et parfois harmonique. C'est l'avant-dernière oeuvre orchestrale de Rachmaninov qui vit désormais depuis plusieurs années aux Etats-Unis et Rachmaninov lui-même l'a enregistrée.  Ce qui étonne toujours quand il joue ou dirige, c'est la sobriété de son jeu en contraste avec le grand lyrisme de ses oeuvres. Dimitry Liss et son orchestre ont joué cette symphonie de manière magistrale. On y trouvait le lyrisme, un beau sens du contrepoint, un équilibre très subtil et surtout une belle énergie. The Ural Academic Philarmonic Orchestra est constitué de musiciens de haut niveau, on s'en rend compte quand on entend l'un d'eux dans une partie solo. De bons musiciens et un chef souple mais directif font de cette version de la Symphonie n° 3 de Rachmaninov une version que le public ce soir-là n'oubliera pas de si tôt.

Sur la fameuse Perspective Nevski se trouve la Petite Salle de la Philarmonie de Saint-Pétersbourg. La Grande Salle de la Philarmonie est la salle où fut créée la Septième Symphonie de Chostakovitch en 1942. Lieux remplis d'histoire. Un programme consacré au répertoire pour violoncelle et piano. Deux compositeurs allemands et deux français. Programme long et exigeant. Le public était nombreux, en retard comme d'habitude (les concerts débutent normalement à 19h mais en réalité ce n'est qu'à 19h15 que les musiciens entrent sur scène…) mais très attentif. Après chaque mouvement le public applaudit, enthousiasmé et ravi. Il est vrai qu'il y a de quoi. C'est un magnifique concert qu'ont offert ces deux musiciens russes peu connus chez nous. La pianiste Inga Dzektser est peut-être connue de certains car elle accompagne souvent Andrey Baranov, dernier lauréat du concours Reine Elisabeth de violon. Elle accompagne aussi le lauréat Yu-Chien Tseng sur son dernier disque. Professeure de piano au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, elle fait partie de ces pianistes-accompagnateurs qui disposent d'un répertoire immense en musique de chambre. La Deuxième Sonate de Beethoven fut magnifique: beaucoup de tempérament, d'esprit et d'humour notamment dans le rondo final. On a pu découvrir le son charnu, profond et envoûtant du violoncelliste Dimitry Eremin, et sa présence très particulière : le visage est sombre, concentré, il n'exprime aucune émotion et pourtant, à l'écoute, il est d'un lyrisme sans limite. La pianiste n'a pas à retenir sa puissance pour ne pas couvrir le violoncelle car Eremin a un son robuste, solide et très rond. Les trois pièces de Schumann sont un vrai moment de poésie et de tendresse. Eremin offre des nuances extrêmement raffinées allant du piano le plus doux possible au pianissimo le plus intime qui soit, mais qui passe dans une grande salle. Une communion intime entre deux musiciens réunis pour jouer Schumann. Beau moment. La deuxième partie était un peu moins "sérieuse" et plus "spirituelle", française en somme…La Sonate de Poulenc fut bien jouée même si on s'attendait à un peu plus de folie, de polissonnerie et d'excentricité mais le tout fut joué avec un bel esprit. Pour finir, la Sonate de Debussy montra qu'on peut être russe et comprendre parfaitement la musique de Debussy. Inga Dzektser est comme une peintre au piano, elle manie les couleurs comme les plus grands debussyste (Gieseking, Michelangeli) et le violoncelliste a bien saisi l'esprit de la pièce qui passe de l'ironie à la mélancolie en utilisant des effets de guitare ou de mandoline. Un beau concert, un fleuron de plus à Saint-Pétersbourg...

François Mardirossian

Saint-Pétersbourg, les 3 et 4 novembre 2013

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