Deux tempéraments aussi opposés que faire se peut

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Réunissant le benjamin et la doyenne des finalistes, la troisième soirée des finales du Concours Reine Elisabeth oppose deux tempéraments aussi opposés que faire se peut.

Dès la première entrée de Maciej Kulakowski dans le concerto imposé, il est immédiatement clair -et cette impression ira se confirmant tout au long de sa prestation- qu’on a affaire ici à un artiste et même à un poète. Il donne de Sublimation d’Hosokawa une approche très lyrique et intimiste, créant un climat subtil qui relève plus de la confidence que de la démonstration péremptoire.

Maciej Kulakowski

L’important épisode où le violoncelle fait entendre des réminiscences de koto -le jeune Polonais utilise ici un plectre- est rendu avec énormément de finesse. C’est cette même finesse qu’on retrouve dans une approche personnelle et très peu conventionnelle du Premier concerto de Chostakovitch, où le premier mouvement est rendu avec énormément de délicatesse. C’est une conception qui se tient, même si Kulakowski efface volontairement le côté grinçant et ironique qu’on s’attend à trouver ici. L’émouvante « chanson russe » qui ouvre le Moderato est déclamée avec beaucoup de naturel, un phrasé ample et respirant naturellement, ainsi qu’un vrai sens de la cantilène. L’usage très restreint que fait de la couleur sonore Kulakowski donne ici à son jeu une qualité étonnamment décantée pour un artiste si jeune. La grande Cadence est chez lui un émouvant et digne soliloque, et ce en dépit d’une sonorité très retenue et assez monochrome (mais rien n’empêche de préférer les infinies nuances du noir et blanc à la séduction plus immédiate du technicolor). Dans le Finale, joué à nouveau avec beaucoup d’aisance et de finesse, le candidat fait l’impasse sur l’ironie. A l’issue de cette belle mais assez particulière prestation, on se dit que la vraie vocation de ce fin musicien de 21 ans à peine est sans doute davantage la musique de chambre (il ferait un merveilleux violoncelliste de quatuor) que l’affrontement avec l’orchestre.

Seungmin Kang

Dès l’introduction de l’imposé d’Hosokowa, Seungmin Kang empoigne l’oeuvre à bras-le-corps, suivie par un orchestre nettement plus rutilant que lors de la prestation précédente. La candidate coréenne fait entendre une personnalité extravertie et volontaire et aborde l’épisode « koto » -qu’elle joue pizzicato sans plectre- avec une franchise et une énergie qui donnent à cette musique d’inattendus relents de flamenco. Elle donne aussi aux redoutables glissandi en harmoniques vers la fin de l’oeuvre un caractère vraiment hanté.
Dès sa première entrée dans le Concerto de Dvorak (notons la belle intervention du cor solo -qui s’était déjà illustré dans Chostakovitch- dans l’introduction orchestrale), il est évident qu’à 30 ans Kang possède -outre un vrai tempérament- une réelle expérience du jeu avec orchestre. La violoncelliste coréenne aborde cette oeuvre avec une belle franchise et une technique solide et aguerrie, ainsi qu’une sonorité ample et puissante qu’elle tire d’un beau violoncelle signé Panormo (1811). Nettement plus extravertie que Kulakowski -sa nature semblant davantage la porter vers la puissance que le raffinement- Kang joue vraiment en prenant des risques comme au concert. Elle déclame les magnifiques mélodies du mouvement lent avec sincérité, tout en refusant toute tentation de sentimentalité. La cadence permet d’entendre un jeu musclé favorisé par un instrument sonore et légèrement caverneux dans les basses. Si la fin du merveilleux Adagio n’est pas aussi déchirante qu’elle peut l’être chez d’autres, Seungming Kang l’aborde avec une dignité qui impressionne et sans une once de larmoyance. Irréprochable sur le plan technique et totalement impliquée, Seungming Kang captive dans l’Allegro moderato final abordé avec beaucoup d’énergie et d’assurance. Très belle prestation et succès mérité.
Patrice Lieberman
Palais des Beaux-Arts, le 31 mai 2017

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