Deux versions du cycle Winterreise

par

Franz Schubert
(1797-1828) 
Winterreise D. 911
Stanislaw Kierner, baryton – Michal Rot, piano
Stephan Genz, baryton - Michel Dalberto, piano
2015-DDD-72’12-Textes de présentation en anglais et polonais-Dux 1204
2015-DDD-67’51-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Claves-50-1606

Le Cycle Winterreise est sans conteste le plus chanté et le plus enregistré du répertoire, pour le meilleur comme pour le pire. On se souvient de l’interprétation sublime d’un Fischer-Dieskau ou d’un Peter Pears ou plus récemment par un schubertien en herbe, Matthias Goerne accompagné par Christoph Eschenbach. Passage obligé ou pur et simple désir, les chanteurs qui s’y attaquent savent d’avance qu’une simple lecture ne sera pas suffisante pour côtoyer ces sommets, même si parfois, la recherche d’idées et de dynamiques « différentes » rendent l’œuvre totalement méconnaissable et hors de propos. Composé en 1827, soit quelques mois avant la disparition du compositeur, le cycle se compose de 24 lieder aux allures tantôt calmes, tantôt agitées. Un amoureux repoussé par sa fiancée qui s’égare et et lance dans un voyage « sans destination apparente ». Un cycle sombre mais aussi songeur et poétique grâce à la puissance des textes de Wilhelm Müller, également auteur des textes de La Belle Meunière quelques années plus tôt.
Deux interprètes totalement différents se lancent dans cette aventure non sans confiance et maturité. Accompagné par le piano feutré, parfois trop en avant notamment dans « Erstarrung » de Michal Rot, le chanteur polonais Stanislaw Kierner propose une entreprise maîtrisée et une lecture réfléchie. Le texte est clair, les dynamiques respectées et l’intensité du discours ne souffre d’aucune lourdeur. De manière générale, le choix des artistes est d’apporter un jeu assez lisse, posé, parfois manquant éventuellement d’un regain d’énergie. Néanmoins, la voix mélancolique comme le témoigne la très intime lecture de « Wasserflut » convient au genre, notamment par des graves doux et calmes en opposition à des aigus manquant parfois de rondeur. Le jeu pianistique de Michal Rot est à souligner aussi, très à l’écoute et respectueux des interventions vocales. Au plus on écoute l’enregistrement, on plus on comprend la direction prise par les artistes qui est ici d’unifier le cycle par un oxymore : « la douleur apaisée », l’évocation d’une douleur passée et non un cri de souffrance au présent.
51LDXbjBW2LA l’inverse, le baryton Stephan Genz propose une lecture beaucoup plus dynamique dans des tempi plus allants. L’approche est davantage brute, parfois sèche, apportant au cycle une sorte de théâtralité dramatique non sans intérêt. Comme pour Kierner, Genz démontre un effort considérable sur la rondeur du texte tout en le déclamant avec précision. Les deux artistes réunis ici prennent aussi quelques libertés mais parviennent à saisir le ton dramatique de l’œuvre avec un regard neuf dans un cadre bien spécifique et clairement travaillé. La conduite est maîtrisée et assumée, allant à l’essentiel au détour de détails significatifs. Genz maîtrise avec aisance les changements de couleurs et de nuances. Ecoutez les fins de phrases de « Gute Nacht » pour en être convaincu. Le piano du grand Michel Dalberto est un solide soutient quant on sait qu’il a enregistré l’intégrale des pièces pour piano de Schubert. L’interprétation, assez proche de celle de Fischer-Dieskau, par une forme de douceur et d’intimité, enlace vocalement l’auditeur, notamment dans « Gute Nacht » ou encore « Rast ». Ici, des accents plus douloureux, une énergie sous-jacente et des Piano non caricaturaux nous empêchent de tomber dans la mièvrerie, danger de ce cycle.
Deux versions intéressantes aux profils et directions opposés qui apportent au cycle comme au répertoire un autre regard.
Ayrton Desimpelaere

Stanislaw Kierner : Son 9 – Livret 9 – Répertoire 9 – Interprétation 8.5
Stephan Genz : Son 10 – Livret 10 – Répertoire 9 – Interprétation 8.5

 

 

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