Disney à l'opéra : une confrontation

par

The perfect American de Philip Glass
En 2008, Gérard Mortier commandait à Philip Glass, pour le New York City Opera, un opéra sur le roman de Peter Stephan Jungk Der König von America (The perfect American). Il emporta ensuite sa commande au Teatro Real de Madrid. C’est là qu’il fut créé à Madrid en janvier 2013, en coproduction avec l’ ENO où il est maintenant à l’affiche. Le livret de Rudy Wurlitzer tiré du roman de Jungk évoque les derniers mois de la vie de Walt Disney (1901-1966), une des figures les plus significatives de la société et de la culture populaire américaine d’aujourd’hui, et dévoile les coulisses sombres de son existence. Nous rencontrons un conservateur, ignorant, raciste, égocentrique et mégalomane, un peu plus humain quand même que le “ monstre” décrit par Jungk. L’histoire est racontée par Wilhelm Dantine, un dessinateur autrichien qui travaille pour Disney comme des centaines d’autres artistes anonymes, sans aucune reconnaissance. Et lorsque Dantine veut fonder un syndicat, il est aussitôt remercié. Dantine reverra Disney, mourant, pour exiger de lui respect et rémunération. Posant ses questions pertinentes à l’auteur et créateur des dessins animés, il se pose en contrepoint de l’arrogance et de la soif de pouvoir du “Maître”. Une série de scènes que Disney revoit sur son lit d’hôpital nous présentent cet homme compliqué et convaincu de sa supériorité mais aussi sa nostalgie pou ses jeunes années passées à Marceline, la petite ville du Missouri dont il s’est inspiré pour créer Disneyland. Et la confrontation avec Josh, l’enfant malade dont il est l’idole, celui qui a inventé un monde magique. Philip Glass est fidèle à ses principes minimalistes, sans rigueur répétitive. Les personnages évoluent dans un sorte de Sprechgesang, un parlando monochrome, tandis que la musique coule paisiblement, sans vraiment exprimer conflits ou émotions. Sous la direction de Gareth Jones, l’orchestre est précis et convaincant et les chœurs exemplaires. Christopher Purves fait un excellent Disney, une belle composition et un chant robuste et nuancé. David Soar (son frère Roy) lui donne une bonne réplique, comme Janis Kelly, son infirmière dévouée au soprano clair mais assez mince. Dans le rôle de Dantine, Donald Kaasch offre une projection du texte exemplaire du texte et un ténor percutant. Zachary James mérite une mention spéciale pour son Abraham Lincoln robotisé et John Easterlin pour son Andy Warhol hilarant. Rosie Lomas prête sa voix enfantine et pure à Josh et le reste de la distribution est homogène. Pas de Mickey Mouse ou Donald Duck en scène : question de droits ! Surtout pour une œuvre si peu flatteuse pour Disney. La mise en scène de Phelim McDermott, dans un décor de Dan Potra et des lumières de Jon Clark est inventive, concentrée autour d’un plateau central qui sert de chambre d’hôpital, de laboratoire, de maison familiale et, finalement, de catafalque. Tout autour, des tulles blancs où sont projetés des images vidéos (Leo Warner et Joseph Pierce) qui évoquent l’animation des films et l’agitation des studios. La seule image “ authentique ”, c’est le portrait de Disney par Andy Warhol.
Erna Metdepenninghen
Londres, English National Opera, le 25 juin 2013

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