Divins noëls

par
Noël

« Noël Baroque »
Les Musiciens de Saint-Julien, dir. François Lazarevitch
Maîtrise de Radio France, dir. Sofi Jeannin
2016-60'19''-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Alpha 266

On sait que, dès la fin du 17ème siècle et durant tout le 18ème, les organistes français avaient coutume d’improviser et de composer des variations sur des thèmes populaires de chansons de Noël. Lebègue fut le premier à dédier des noëls à l’instrument à tuyaux, lesquels furent publiés dans son 3ème Livre d’orgue. L’idée séduisit Gigault, qui fit œuvre de précurseur en consacrant un recueil exclusivement à des noëls (son Livre de noëls variés, sorti de presse en 1682). Vers 1740 parut un Nouveau livre de noëls pour l’orgue et le clavecin, signé Daquin, dont les douze pièces demeurent actuellement les plus connues du genre, abstraction faite des vingt-deux noëls de Corrette regroupés dans son Nouveau livre de noëls avec un carillon pour le clavecin ou l’orgue. Ce dernier recueil, imprimé en 1741, fut un tel succès qu’il fut réédité douze ans plus tard. On y trouve, notamment, des variations sur le « Noël Suisse », « Quand Dieu naquit à Noël », « Tous les Bourgeois de Chastre », « Joseph est bien marié », ainsi qu’ « Une Jeune Pucelle ». Cette dernière chanson (que d’aucuns se souviendront certainement d’avoir entendue dans le film d’Alain Corneau Tous les matins du monde) inspira également Lebègue et inaugure le Onzième Noël en récit en taille, sur la tierce du Positif avec la Pédalle de flûte, et en duo, de Daquin, publié en 1757. C’est déjà sur cette mélodie que M.-A. Charpentier avait écrit, à la fin du 17ème siècle, le second Kyrie de sa Messe de Minuit H. 9. Dans cette œuvre, l’auteur de David et Jonathas avait utilisé les thèmes de nombre de ces noëls populaires, auxquels il avait substitué les paroles latines de l’Ordinaire de la messe: la mélodie des « Bourgeois de Chastre » résonne ainsi dans le Gloria, celle d’ « A la venue de Noël » dans le Credo, et celle de « Joseph est bien marié » dans le premier Kyrie. De ce « Joseph », une myriade de variations pour le clavier nous sont parvenues, dont les plus célèbres sont dues à Raison et à Dandrieu, lequel nous a également légué plusieurs Noëls posthumes, parus en 1759 (le recueil de noëls publié sous le nom du même compositeur trente ans auparavant n’était, en réalité, que la reproduction d’un ouvrage antérieur d’un autre auteur). Corrette suivit l’exemple de Charpentier en 1788, avec sa Messe pour le temps de Noël – qui fut, soit dit en passant, la dernière œuvre avec orgue publiée avant la Révolution française. Les mélodies précitées se retrouvent toutes sur le disque que voici, de même que « Or nous dites Marie », tiré du Deuxième Noël, en dialogue, Duo, Trio, sur le cornet de récit, les tierces du Positif et la Pédalle de flûte de Daquin. François Lazarevitch et ses Musiciens de Saint-Julien réhabilitent ces noëls immémoriaux, restituant les textes qui les accompagnaient à l’origine, chantés ici par la Maîtrise de Radio France. Du reste, si les variations composées par leurs ancêtres organistes continuent d’imprégner les différentes pièces (comme en témoignent, notamment, les ornements qui émaillent quelques-unes d’entre elles), les claviers sont contraints au silence – à l’exception d’un orgue positif, particulièrement discret – et remplacés par un ensemble instrumental. Une idée qui n’a rien de saugrenu. D’abord, parce que les organistes des siècles passés l’avaient eux-mêmes suggérée: dans la préface de ses Noëls, par exemple, Corrette indique la façon de jouer les œuvres sous forme concertante « à la manière de Haendel », alors que l’édition imprimée des douze noëls de Daquin précise, à même le titre, qu’ils « peuvent s’exécuter sur les violons, les fûtes, hautbois, etc. ». Ensuite, parce que les bois confèrent à ces chants traditionnels un ton pastoral qui leur va comme un gant. Le timbre naturel et délicat des jeunes chantres accentue encore le caractère rustique, sincère et souvent naïf de ces partitions certes sans prétention, mais d’un charme exquis. Quant à l’incontournable Concerto pour la nuit de Noël de Corelli, qui orne également ce disque, n’allez surtout pas croire que la formation normande n’a pas pris la peine de nous le faire découvrir sous un jour nouveau: aux deux violons et violoncelle qui se le disputent dans la plupart des enregistrements, Lazarevitch et ses comparses substituent deux flûtes à bec et un basson, à l’image d’un arrangement de cette œuvre publié en Angleterre en 1725, mettant ainsi en relief le climat bucolique de l’œuvre. Restent ces deux noëls québécois, extirpés du gouffre du temps pour notre plus grand bonheur: « C’est une fille muette », dont seule la ligne mélodique passa à la postérité et que Lazarevitch pare d’un ravissant tissu instrumental, et « Iesous Ahatonnia », issu du folklore huron et noté dans un recueil de Noëls anciens de la Nouvelle-France datant de 1913. Voilà donc un nouveau petit bijou à mettre au crédit du label Alpha, qui permettra à ceux qui le souhaitent de réveillonner à l’abri des rengaines qu’on nous ressasse à chaque solstice d’hiver, sans renier pour autant la pure tradition de Noël.
Olivier Vrins

Son 9 - Livret 10 -  Répertoire 8 - Interprétation 10

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