Don Giovanni ou l’Eros incarnant l’immédiateté du Désir

par

Alex Esposito (Leporello) - Dmitry Korchak (Don Ottavio)
© Patrice Nin

Don Giovanni à Toulouse
Ce 15 mars, la scène du Capitole de Toulouse proposait la première de Don Giovanni, une reprise de la saison 2004-2005. Brigitte Jacques-Wajeman signait une mise en scène autour d’une dialectique se balançant sans cesse entre le bouffe et le tragique. Elle s’attache à mettre en relief le couple Don Giovanni – Leporello, chantés avec force et persuasion par l’anglais Christopher Maltman dans le rôle du séducteur insatiable et par l’italien Alex Esposito en Leporello, le double opposé du héros. Tous deux occupent la scène avec brio, tant d’un point de vue vocal que scénique. Tout au long de la représentation, Maltman et Esposito défendent leur rôle avec une étonnante aisance théâtrale associée à une vocalité irréprochable. Dans l’air du catalogue par exemple, Leporello fait preuve d’une désinvolture gestuelle digne des acteurs de théâtre en maintenant sa haute performance chantée. Dmitry Korchak, interprète de Don Ottavio, s’aligne au même rang que ses collègues. Il charme par son lyrisme et adopte une juste attitude à l’égard de son personnage, figure protectrice et loyale, mais aussi non agissante et immobile. Il en est de même pour Masetto, interprété par le jeune serbe Ipca Ramanovic, dont la carrière s’annonce fort prometteuse. La totalité du plateau masculin, intégrant également le Commandeur, basse profonde aux accents mi- autoritaires et mi-désespérés, fait ici preuve d’un haut niveau artistique d’une parfaite égalité musicale. Malheureusement, cet équilibre ne trouve pas son pareil au sein des rôles féminins. En effet, la défaillance de cette première représentation sur la scène lyrique du Capitole de Toulouse, réside dans les interprétations de Donna Elvira et Donna Anna, chantées par l’espagnole Maite Beaumont et la géorgienne Tamar Ivera. Toutes deux manquent d’opulence vocale. Tamar Ivera, dans le rôle de Donna Anna est assez effacée et dans le second acte, elle semble fatiguée, notamment dans le duo final avec Don Ottavio où la justesse s’égare de sa route. Donna Elvira, chantée par Maite Beaumont déploie constamment une forte énergie mais ne parvient pas à exprimer la féroce fureur tant attendue. Heureusement, Zerlina, défendue par Vannina Santoni vient rééquilibrer cette distribution féminine. Resplendissante par sa fraîcheur et sa sensibilité vocales, elle donne une grâce délicieuse à son personnage. Quand à l’orchestre, sous la baguette d’Attilio Cremonesi, qui fut l’assistant de René Jacobs durant plusieurs années, il débute timidement l’ouverture, condensé de l’opéra qui est une vraie entité orchestrale, préfigurant les préludes de Richard Wagner. Cette impression est vite oubliée, car dès la première scène, l’orchestre excelle à soutenir les voix au plus près de ce qu’elles proposent, à les accompagner avec précision et caractère. De même, le continuiste (clavecin), Robert Gonnella, exécute avec brillance et exactitude parfaites sa fonction. Les décors évoquent les tableaux de Watteau, encouragés aussi bien par les costumes oniriques que par les éclairages, celui du clair de lune par exemple, ce qui confère une étrange poésie peu éloignée de la célèbre scène de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand ou de certaines toiles de Poussin. Ce traitement scénique de l’espace accueille, favorise, aiguise l’étendue des caractères des personnages, servis en l’occurrence par un magistral jeu théâtral. Brigitte Jacques Wajeman apporte une lecture réfléchie sur les sentiments qui animent chacun des personnages. Elle appuie avec finesse et justesse l’éros débordant de Don Giovanni, sans avoir recours à une dimension érotique manifeste, car elle auréole le désir inassouvi du héros comme une énergie de vie incluant aussi bien l’angoisse que la jouissance : « Don Giovanni est une force positive d’une incroyable puissance et quand il disparaît à la fin de l’ouvrage tout revient dans l’ordre, mais quelle tristesse ! ». Elle dote ce célèbre mythe masculin d’une dimension métaphysique, se plaçant sous une lunette objective qui réfute toute facilité de livrer un regard issu d’une psychologie féminine. Elle affronte donc la force dionysiaque du héros avec recul et affirmation, considérant Don Giovanni comme l’incarnation même du désir, une pulsion de vie incommensurable exaltant la souffrance comme le plaisir et venant contraindre un ordre moral, social et religieux établis. Une représentation digne de la haute réputation du théâtre du Capitole. Et les quelques faiblesses relevées ci-dessus sont vite occultées par la qualité générale du plateau ainsi que par celle de la mise en scène.
Marie-Sophie Mosnier
Toulouse. Théâtre du Capitole, le 15 mars 2013

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