Du côté d’Erwin Schulhoff

par

Erwin SCHULHOFF (1894-1942)
Sextuor pour deux violons, deux altos et deux violoncelles
Vincent d’INDY (1851-1931)
Sextuor pour deux violons, deux altos et deux violoncelles op. 92
Frank BRIDGE (1879-1941)
Sextuor en mi majeur
Parnassus Akademie
2014–DDD-73’ 04’’–Textes de présentation en anglais, allemand et français–ET’CETERA KTC 1475
Son 8 – Livret 7 – Répertoire 7 – Interprétation 8

Schulhoof2ERWIN SCHULHOFF (1894-1942)
Quatuor à cordes n° 1–Esquisses de jazz
Antonin DVORAK (1841-1904)
Quatuor à cordes n° 13 en sol majeur
Ragazze Quartet
2015-DDD–65’–Textes de présentation en anglais, allemand et français– Channel Classics CCS SA 368 15
Son 9 – Livret 7 – Répertoire 7 – Interprétation 7

 

Schulhoff3Erwin SCHULHOFF (1894-1942)
Sonate pour violon et piano
Karol SZYMANOWSKI (1882-1937)
Sonate pour violon et piano en ré mineur op. 9–Notturno–Tarentella op. 28
Claude DEBUSSY (1862-1918)
Sonate pour violon et piano en sol mineur
Leos JANACEK (1854-1928)
Sonate pour violon et piano
Noé INUI (violon), Mario HÄRING (piano)
2015-DDD–78’ 29’’–textes de présentation en allemand et en anglais–ARS Production 38 189
Son 8 – Livret 6 – Répertoire 9 – Interprétation 9 

Longtemps rejeté dans le populeux et gigantesque purgatoire de la musique, le Tchèque Erwin Schulhoff (qui est né à Prague, alors cité austro-hongroise) bénéficie depuis deux décennies d’un large regain d’intérêt. Encore que cette dernière expression ne soit pas tout à fait exacte car de son vivant, Erwin Schulhoff n’a jamais été un compositeur vedette, même si ses œuvres ont été ont régulièrement jouées çà et là en Europe et que certaines d’entre elles ont été primées. À la vérité, il avait tout, absolument tout, pour déplaire à l’intelligentsia et à la bourgeoisie de son époque, bourgeoisie, dont on oublie trop souvent de dire qu’elle est la principale consommatrice de la culture : il était juif, il était bisexuel et il était communiste, communiste militant. Au point de demander et d’obtenir la nationalité soviétique et d’aller jusqu’à mettre en musique le célèbre Manifeste de Karl Marx et Friedrich Engels ! Et puis il était avant-gardiste. Toutes choses qui lui auront valu d’être harcelé par les nazis (au motif de s’adonner à une musique « dégénérée »), d’être arrêté peu avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale et d’être bientôt enfermé au camp d’internement de Wülzbourg, où il mourra de tuberculose, laissant dernière lui plusieurs partitions inachevées (dont sa Septième Symphonie et sa Huitième Symphonie).
Auteur d’une centaine d’œuvres, Erwin Schulhoff est le type même du musicien pluriel – du musicien qui aime passer d’un style à l’autre (de la musique ancienne à l’atonalité), multiplier les expériences, mêler les genres et veiller à tout moment à se renouveler. Avec Maurice Ravel, George Gershwin et Kurt Weil, il fait ainsi partie des quelques compositeurs dits classiques qui se sont passionnés pour le jazz et qui n’ont pas hésité à y recourir à différentes reprises. En 1927, il a par exemple écrit Esquisses de jazz pour piano seul, en six mouvements successivement intitulés « Rag », « Boston », « Tango », « Blues », « Black Bottom » et « Charleston ».
Par les hasards (ou les caprices) de l’actualité discographique, des pièces d’Erwin Schulhoff figurent sur trois CD collectifs consacrés à la musique de chambre : son Sextuor pour deux violons, deux altos et deux violoncelles datant de 1924 et interprété pat le Parnassus Akademie, son Quatuor à cordes n° 1 datant de la même année et un arrangement pour quatuor à cordes des Esquisses de jazz interprétés par le Ragazze Quartet (un quatuor anglo-hollandais dont les membres sont quatre jeunes femmes), et la Sonate pour violon et piano datant de 1913 et interprétée par le violoniste Noé Inui et le pianiste Mario Häring. Trois belles occasions de découvrir Erwin Schulhoff chambriste et de s’apercevoir qu’existent de nombreux points communs entre son Sextuor, son Quatuor et sa Sonate : ce sont des œuvres à la fois tempétueuses et sombres, ardentes et dramatiques, traversées par moments, et peut-être par accidents, par des traits burlesques, un peu comme si le compositeur se moquait de ses propres audaces formelles (ce n’est pas un hasard si le troisième mouvement de sa Sonate est appelée « Burlesca »). Mais de là à prétendre qu’Erwin Schulhoff a une griffe personnelle…
Parmi les autres pièces contenues sur ces trois CD, on relèvera surtout le Sextuor en mi majeur de Frank Bridge (un des maîtres de Benjamin Britten) et la remarquable exécution de la Sonate pour violon et piano de Leos Janacek – un bijou de fluidité musicale avec son allegretto si caractéristique et si harmonieux, et son adagio final si envoûtant.
Jean-Baptiste Baronian

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