Egarr ressuscite le jeune Haendel

par

Georg-Friderich HAENDEL (1685-1759)
Huit "Grandes Suites" pour clavecin HWV 426-433
Suites n°1 en La Majeur HWV 426 - n°2 en Fa Majeur HWV 427 - n°3 en ré mineur HWV 428 - n°4 en mi mineur HWV 429 - n°5 en Mi Majeur HWV 430 - n° 6 en fa dièse mineur HWV 431 - n°7 en sol mineur HWV 432 - n°8 en fa mineur HWV 433
Richard Egarr (clavecin)
2013 - 60'17'' + 57'55'' - Textes de présentation en anglais, français, allemand - Harmonia Mundi HMU 907581.82

Le texte de présentation qu'il a rédigé lui-même montre combien Richard Egarr est attaché à ce corpus des "Grandes Suites" du maître saxon. Edité en 1720, il reprend des pièces composées durant les vingt dernières années et, nous dit l'interprète, "réflète son tempérament et sa personnalité hors normes. A mes yeux, ces Suites permettent d'étudier son caractère, et leur majesté autorise l'interprète à découvrir sa propre facette haendélienne". C'est donc son "Haendel intérieur" que Egarr va nous livrer. Ces huit Suites ont peu à voir avec celles de Bach, son contemporain. Composées chacune de quatre à six pièces de danse ou d'indication de tempo, elles n'ont entre elles aucun rapport de tonalités et témoignent du style très personnel du Saxon procédant à une savante alchimie de la virtuosité italienne à la Scarlatti, du style brisé français et de sa propre conception, très orchestrale. C'est peut-être ce dernier point qui incite peu de clavecinistes à se prêter à ces Suites. Comme Beethoven un siècle plus tard, l'écriture orchestrale au clavier relève d'une gageure pour les interprètes. Il n'est qu'à écouter ici par exemple la vélocité de la Fugue de la 4e Suite en mi mineur et ses difficultés à donner des illusions de legato, ou encore la Passacaille de la 7e Suite en sol mineur qui sonne comme un grand orchestre au coeur d'une cathédrale. Mais tout ceci n'empêche par le lyrisme et l'intimité qui habitent des Allemandes ou des Adagios. Oui, autant de Suites, autant de facettes du compositeur qui maîtrise parfaitement l'art de donner à chacune le caractère propre à sa tonalité. "Un véritable théâtre des passions, voire un opéra" nous dit Egarr. Paradoxalement, si on reconnaît certaines Suites du recueil, ce n'est pas grâce à des clavecinistes mais à des pianistes, russes de surcroît : Svatoslav Richter et Andrei Gavrilov qui aiment les jouer ou en donner des extraits en guise de "bis". Richard Egarr joue son Ruckers 1638 -une copie réalisée en 1991 à Amsterdam par Joel Katzman-, un facteur qu'appréciait Haendel: il jouait souvent un Ruckers aujourd'hui propriété de la reine Elizabeth II; selon l'usage de l'époque, il est accordé à 422 -au lieu du 415- et donne à la sonorité plus de tension, un caractère cristallin bienséant à ce répertoire truffé d'ornementations auxquelles l'interprète donne libre cours avec joie et maîtrise. On ne s'ennuie pas un seul instant dans cet univers "Pré-Sturm und Drang".
Bernadette Beyne

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

 

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