En espérant le début d'une magnifique intégrale ?

par

Serge PROKOFIEV
(1891-1953)
Symphonies n° 6 et 7
Netherlands Radio Philharmonic Orchestra, dir.: James GAFFIGAN
2016-SACD-72' 53''-Texte de présentation en anglais uniquement-Challenge Classics CC72714

Les enregistrements des symphonies de Prokofiev paraissent en abondance. Kirill Karabits vient de terminer son intégrale (Onyx), Jansons et Sokhiev dirigent la 5ème et Praga réédite la fameuse 6ème de Mravinsky, créateur de l'oeuvre. Pour être moins abondant que celui de son collègue Chostakovitch, le corpus de Prokofiev n'en est pas moins l'un des plus remarquables, non seulement du répertoire russe, mais de tout le XXème siècle, sans aucun doute. Pour une belle approche analytique, je renvoie le lecteur aux textes d'Harry Halbreich, accessibles dans l'onglet "Dossiers" du site de Crescendo, dont le deuxième est précisément consacré au Prokofiev symphoniste. Créée le 11 octobre 1947 (et non le jour de Noël, comme l'indique la notice), elle s'est aussitôt avérée comme l'une des plus âpres et des plus difficiles des sept. Mais, contrairement à la deuxième, de 1924, "moderniste" et dissonante un peu par jeu, et construite suivant la forme de la 32ème sonate pour piano de Beethoven, la sixième symphonie (opus... 111) exprime une tension intérieure par un langage ardu, correspondant à un besoin impérieux, loin de toute mode. C'est ce qu'a parfaitement saisi le jeune chef américain James Gaffigan, qui en livre une lecture absolument sensationnelle. Il maîtrise bien son instrument, un orchestre de la radio néerlandaise en toute grande forme, qu'il conduit de manière implacable, par vagues et houles successives. L'orchestration est au service de l'oeuvre, sans brillance superflue (défaut de la 5ème symphonie). Gaffigan a compris le sens de l'ouvrage et, aidé par une excellente sensibilité rythmique, a perçu son unité interne, sa palpitation profonde : il conduit la symphonie en un seul bloc de trois mouvements compacts, pour aboutir, en un éclair saisissant, au retour tragique du drame initial, juste avant la coda abrupte. Magistral. En 1952, Samossoud créait la septième et dernière symphonie. Cette fois, le succès était présent et mérita à son auteur un Prix Lénine... à titre posthume (1957). Très différente de la précédente, la 7ème joue sur la beauté mélodique des thèmes, le coloris des instruments et la sérénité de l'atmosphère, évoquant la jeunesse, soit celle du peuple russe, soit celle de Prokofiev lui-même. La direction claire et précise de Gaffigan allie souvent la tendresse au charme, qualités trop rarement soulignées chez le compositeur (écoutez la reprise du thème initial des cordes plage 4, à 6'). Il est bien secondé par d'admirables solistes : flûte, clarinette, cor anglais, mais aussi piano, harpe et glockenspiel, très actifs dans cette  partition. Le scherzo, en particulier, une parfaite réussite, laisse le tempo de valse venir de très loin pour, petit à petit envahir la scène et s'épanouir pleinement. Signalons que, comme la plupart de ses collègues, le chef omet la coda optimiste imposée par les autorités soviétiques de l'époque (on peut l'entendre chez Neeme Järvi) : la symphonie se conclut bien par ce scintillement calme et serein, si nostalgique du bonheur de l'enfance... N'était l'indigence de la notice, ce CD obtenait un Joker.
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 7 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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