Entre démesure et prosaïsme

par

Claudio MONTEVERDI (1567-1643)
L'Incoronazione di Poppea

Sonya YONCHEVA Poppea, Max Emanuel CENCIC Nerone, Ann HALLENBERG Ottavia, Tim MEAD Ottone, Paul WHELAN Seneca, Amel BRAHIM-DJELLOUL Drusilla, Rachid Ben ABDESLAM Nutrice/Un famigliare de Seneca, Emilio GONZALEZ TORO Arnalta, Anna WALL Fortuna/Venere/Pallade, Khatouna GADELIA Virtu/Valletto, Camille POUL Amore/Damigella, Aimery LEFEVRE Mercurio/Console, Patrick SCHRAMM Un famigliare di Seneca/Littore, Mathias VIDAL Soldato/Un famigliare di Seneca/Lucano
Nicholas MULROY, Soldato/Liberto capitano/Tribuno
LE CONCERT D'ASTREE
dir. Emmanuelle HAÏM
mise en scène Jean-François SIVADIER
2012-178'-NTSC System-16.9-2DVDs9-Stereo PCM:2.0/Dolby 5.1 Surround-Sous-titres en anglais, français, allemand, espagnol, italien-Chanté en italien-Virgin classics 928991 9
Le Couronnement de Poppée créé à Venise en 1642 connut un départ glorieux: toute la durée du Carnaval de l'année suivante... Des manuscrits qui furent l'objet de spéculations musicologiques, on se réfère aujourd'hui souvent à celui dit de Naples, plus ancien, plus proche sans doute de Monterverdi que celui de Venise, assez simplifié, moins révélateur de l'extrême richesse créatrice d'un compositeur de 74 ans à l'apogée de son art. Après un long oubli- assez incompréhensible, d'ailleurs- l’œuvre fait désormais partie intégrante du répertoire international et connaît une faveur croissante.
A cela au moins trois raisons: la modernité ou plutôt l'intemporalité des thèmes, ensuite les contrastes avec lesquels ils sont traités – alternance du comique, du tragique – art baroque tout en mouvements contraires, en versatilité, en vivacité, surprenant sans cesse la curiosité, enfin et surtout, le potentiel de mise en scène. Car - plus le stupre, le crime, la fange, la trahison, la perversion seront puissamment évoqués - plus pur, plus sublime s'élèvera le chant final de l'amour parfait. L'un des plus beaux, des plus simples, des plus vrais duo d'amour de l'histoire du théâtre chanté.
Et une fois encore, ce sont ces ultimes accents du «Pur ti miro» abordés (enfin!) avec dignité et intériorité par Max Emanuel Cencic/Néron et Sonya Yoncheva/Poppée que l'on retiendra dans ce DVD. Pour ces minutes là et une exécution musicale de belle tenue, on essaiera d'oublier une mise en scène inutilement compliquée fondée sur un parti-pris de médiocrité, timorée jusque dans la vulgarité. Jeux de scène mesquins à faire rougir des animateurs de stages de réinsertion (bras d'honneur de Néron au Sénat!). Dérision permanente. Costumes désolants vus mille fois (perruque de drag-queen, coiffure décolorée en pétard, décolleté de Poppée, «costume 3 pièces» étranglant une vénus travestie, couleurs criardes, style d'arrière-salle de bistrot). Enfin, ne faisant pas confiance à la puissance dramatique du livret de Busenello -pourtant shakespearien en diable- la régie de Jean-François Sivadier a rajouté introduction, bruitages, suspensions de silence, apparitions, commentaire parlé avec un résultat émotionnel assez contre productif. Quant à la captation, l'alternance intempestive de plans d'ensemble et gros plans comme les cadrages (comment peut-on filmer les hideux dispositifs collés sur le cou des chanteurs!) ne font qu'accentuer la tristesse des images. Musicalement, l'ensemble des chanteurs dont on pouvait attendre le meilleur, se montre honorable même si la vocalité évolue plus dans le registre de la véhémence que de la suavité (duo Néron/Lucain disharmonieux au possible - scène 6 acte II, «di quel viso ridente»- et décevante berceuse d'Arnalta). Dirigés par Emmanuelle Haïm - ici en terrain archi-connu- Le Concert d'Astrée, assez étoffé, réserve de jolis moments bucoliques et dansants et donne une texture chatoyante à une partition dont, malgré toutes les études scientifiques, nous ne connaissons qu'une trame et une éclatante beauté (due à Monterverdi seul ou avec la contribution d'assistants, qu'importe!) et il revient à chaque musicien de la faire resplendir. Qu'ils suscitent seulement l'envie de découvrir, d'approfondir une telle œuvre, n'est-ce pas là l'essentiel?
Aux feux de la démesure répond, ici, une production trop prosaïque. Dommage!

Bénédicte Palaux Simonnet

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