Entre musique et persécution anti-sémite

par

0126_JOKERMieczyslaw WEINBERG (1919-1996)
Sonate pour clarinette et piano opus 28-Mélodies juives d'après Shmuel Halkin opus 17-Quintette avec piano opus 18
Richard MARGISON (ténor), ARC Ensemble de Toronto
2006/2014-DDD-76'56-Textes de présentation en anglais, français et allemand-RCA 8287687769-2

« Au seuil de l'espoir » titre ce disque (apparemment publié en 2006 mais qui ne nous parvient qu'aujourd'hui... mystère de l'édition et de la distribution!) dévolu à un compositeur resté longtemps dans l'ombre de Chostakovitch et que l'on commence à découvrir en profondeur: Mieczyslaw Weinberg. Né à Varsovie de parents d'ascendance moldave, il dut quitter précipitamment sa ville natale en 1939 devant l'agression nazie. Tout d'abord réfugié à Minsk puis à Tashkent après Barbarossa, il devint familier, dans ce dernier refuge, de toute une intelligentsia dont certains membres permirent que ses partitions parviennent à Chostakovitch, lequel avait suffisamment d'autorité pour permettre à Weinberg de s'installer à Moscou, ville que ce dernier ne devait plus quitter jusqu'à son décès en 1996. Il en résulta une amitié entre les deux hommes qui jamais ne se démentit et se ressent jusque dans leur musique. Les pages rassemblées sur ce disque datent de cette première période de la vie moscovite du compositeur qui lui ouvrait, de manière si inattendue, de nouvelles perspectives, d'où le titre du disque. Familier de la clarinette depuis son enfance, instrument également omniprésent dans la musique klezmer, il écrivit en 1945 la sonate opus 28, parsemée d'échos de ce folklore si identifiable de la culture juive. Il s'agit d'une oeuvre magnifique, d'une redoutable difficulté technique, à la puissance évocatrice certaine.  Les mélodies juives d'après des poèmes de Shmuel Halkin écrits en yiddish, composées en 1944, ont pour thème principal la guerre et les souffrances du peuple juif. L'une d'elles fait même référence, en filigrane, au massacre de Babi Yar, horreur absolue de l'Histoire dont Chostakovitch fera d'ailleurs le sujet unique de sa 13ème symphonie. Souvent poignantes, elles se distinguent par un style qui rappelle souvent son illustre confrère. Enfin, toujours en 1944, Weinberg écrivait un quintette avec piano, créé l'année suivante par Emil Gilels et le quintette du Bolshoi. Le premier mouvement, tourmenté, voire torturé, évoque indubitablement Chostakovitch, notamment dans sa partie pianistique, mais témoigne pourtant d'une personnalité très affirmée, originale et complexe. Suivent, très inhabituellement, deux scherzos dont le second présente un caractère clairement grotesque. Le long largo (quatorze minutes) est aussi le mouvement le plus développé de l'oeuvre; cette page exigeante demande des interprètes particulièrement inspirés, ce qui est bien le cas ici. Le finale rappelle, une fois encore, le grand aîné: un thème initial presque mécanique et répétitif se mue soudainement en une danse populaire échevelée, interrompue ici et là par une courte suspension rêveuse, un enchaînement qui sonne comme une lointaine réminiscence de la 9ème symphonie de Chostakovitch, avec un matériau musical il est vrai totalement différent. Cette période à la fois porteuse d'espérance et sombre de l'existence de Weinberg ne devait pas être la plus malheureuse: dès après la guerre, il fit l'amère expérience de la recrudescence de l'antisémitisme stalinien. La police secrète fit assassiner son beau-père en 1948 et lui-même fut arrêté en février 1953; il ne dut la vie sauve qu'à la mort soudaine du dictateur un mois plus tard. Par la suite, heureusement, sa musique fut de plus en plus reconnue et appréciée par le régime en place et la Russie le célèbre désormais, depuis plusieurs décennies, comme un compositeur important du 20ème siècle. L'Europe, elle, commence seulement à le découvrir, au travers de ses quatuors, de son oeuvre pour violon et piano et de ses symphonies, et à se rendre compte de l'immensité de son talent. C'est dire à quel point le présent disque est propice à la connaissance de cet art singulier et passionnant.
Bernard Postiau

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation: 10

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