Entre profane et sacré... le génie ambigu de Roland de Lassus

par
Lassus

Roland de LASSUS
(1532 - 1594)
Canticum Canticorum-Magnificat super Ancor che col partire di Cipriano-Missa super Susanne un jour
Choeur de chambre de Namur, Ensemble Clematis, dir.: Leonardo Garcia ALARCON
2016-DDD-65'-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Ricercar RIC 370

Texte biblique unique entre tous par sa position troublante entre sacré et profane, le Cantique des Cantiques a été une source d'inspiration sans précédent pour les compositeurs du 16ème siècle désireux d'exprimer dans leur musique des sentiments autres que ceux suscités par la stricte piété. En effet, la naissance d'une passion amoureuse qu'il décrit est l'occasion pour le poète de l'invoquer de diverses manières, allégoriques ou plus directement évocatrices de la sensualité charnelle. En abordant un sujet éloigné tout autant de la foi rigoureuse que de la « simple » chanson profane, ils se sont engouffrés en nombre dans cet univers nimbé d'une rare et élégante volupté. Certains n'y ont sélectionné que quelques versets, d'autres y ont consacré des recueils entiers. Le plus fameux est bien entendu Palestrina qui nous a livré l'un des sommets absolus de la polyphonie, toujours intact aujourd'hui par la puissance de sa fascination originelle. On sait moins que Roland de Lassus, lui aussi, a puisé dans ce poème la matière d'un florilège de huit motets, plus modeste de taille mais tout aussi brillant. Le résultat est d'une douceur presque impalpable mais aussi d'une passion jamais absente et de plus en plus manifeste au fur et à mesure que l'on avance dans la partition. Chaque vers est traité avec une rare subtilité, avec un thème qui lui est propre, des alternances dans la composition des voix, etc.; le tout est un concentré d'émotions intenses, décliné en 5, 6 et 8 voix. Cette merveille est admirablement servie par un choeur de chambre de Namur en état de grâce, aux voix à la ductilité bienvenue, soutenu avec efficacité par les instrumentistes de l'ensemble Clematis. Mais, arrivés au terme de ce voyage, nous ne sommes encore qu'à la moitié du disque. La fête se poursuit avec l'un parmi la centaine de Magnificat nés de la main du plus européen des compositeurs de son siècle. Celui qui nous est proposé ici se base sur deux madrigaux de Cipriano de Rore, l'un des initiateurs du genre. Le choix par l'éditeur de cette pièce, dotée d'une somptueuse parure à cinq voix, ne doit rien au hasard: les textes originaux des deux chansons sont, eux aussi, nimbés de sous-entendus érotiques. La Missa super Suzanne un jour conclut avec cohérence ce programme car basée sur l'une des plus célèbres chansons de son auteur, dont le texte, s'il est résolument moralisateur, n'en a pas moins pour sujet l'attirance physique. La messe avait déjà été gravée par Roland Wilson et sa Capella Ducale pour le label Glissando, le Magnificat par l'ensemble Pomerium. Quant au Cantique, sauf erreur de notre part, nul enregistrement intégral n'existait; jusqu'à présent, seul le motet Veni in hortum meum avait trouvé grâce auprès des Voix Baroques chez Atma. Rassembler de façon aussi logique ces pièces sur un même disque est donc un avantage de plus pour cette très belle réalisation qu'aucun amoureux de Roland de Lassus ne voudra rater.
Bernard Postiau

Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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