Ernő Dohnányi : des pépites méconnues
Ernő Dohnányi (1877-1960) : Sérénade pour trio à cordes opus 10-Quatuor à cordes n° 3 opus 33-Sextuor pour piano, clarinette, cor et trio à cordes opus 37. Ensemble NASH. 2017-DDD-76'08-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Hyperion CDA 68215
Quasiment éradiqué de la mémoire collective au cours de la période de domination soviétique pendant laquelle les gouvernements hongrois successifs furent de plus en plus assujettis à Moscou, Ernö Dohnanyi, mort en 1960, fut ainsi ostracisé pour ses supposées opinions réactionnaires, voire même pour des activités de criminel nazi que personne n'a jamais pu prouver. Ce voile sinistre entacha pour longtemps sa réputation et il fallut attendre la chute de l'empire communiste, le retour à une situation politique stable après presqu'une décennie de transition et la réhabilitation entreprise par quelques experts désireux de rétablir la vérité pour que, vers la fin des années 1990, son oeuvre commence enfin à être redécouverte. Les parutions discographiques qui fleurirent à partir de cette époque étonnèrent les mélomanes par les beautés si longtemps cachées qu'elles révélaient. Certaines pages, bien sûr, avaient connu une certaine notoriété avant cette résurrection, telles les fameuses variations sur Ah! Vous dirais-je maman que popularisèrent les merveilleux enregistrements de Julius Katchen et Adrian Boult en 1954 et du compositeur lui-même en 1931 ou encore la Sérénade pour trio à cordes opus 10 que Itzhak Perlman grava en 1978 en compagnie de Pinkas Zukerman et Lynn Harrell. C'est d'ailleurs celle-ci que nous propose aujourd'hui l'Ensemble Nash pour débuter son programme. En cinq mouvements, elle frappe par son grand lyrisme et son abord aisé malgré nombre de traits étonnamment modernes pour cette partition de 1902. Les deux autres pièces sont très méconnues et rarement interprétées, ce qui est à l'évidence injuste. Le Quatuor à cordes n° 3 est de grande envergure: trois amples mouvements à la structure symétrique qui offrent la particularité de placer le scherzo au milieu de l'Andante religioso central. Autour de celui-ci prennent place un Allegro agitato e appassionato initial, âpre et tourmenté mais d'une maîtrise créatrice arrivée à pleine maturité dans cette oeuvre de 1926, et un finale noté Vivace giocoso qui paraît davantage inquiet et fébrile que vraiment joyeux. Il est incompréhensible que cette musique splendide ne soit jamais jouée en concert car elle est très gratifiante pour les artistes qui peuvent y développer leur virtuosité tout en faisant preuve d'intériorité et d'expressivité. Le Sextuor est plus oublié encore. Sa formation inhabituelle: piano, clarinette, cor et trio à cordes, n'est sans doute pas étrangère à cette désaffection. Il s'agit pourtant d'un nouveau chef-d'oeuvre haut en couleurs, aux climats variés, qui ne sont pas sans rappeler les couleurs automnales du dernier Brahms. Le côté quasi rhapsodique du premier mouvement est palpable avec ses épisodes aux thématiques changeantes, avec des successions lent-rapide qui évoquent les fameuses Dumky mises à l'honneur par Dvorak. Un superbe adagio déploie lui aussi une veine mélodique qui semble intarissable. Le 3e mouvement, Allegro con sentimento, est emmené par une clarinette rejointe ensuite par les cordes en staccato dans un style on ne peut plus brahmsien, ici encore. Et pourtant, si on ne peut s'empêcher de penser au compositeur du Requiem allemand, le ton et l'inspiration restent très personnels, sans connexion possible avec l'univers de ce dernier. Enfin, un finale éblouissant, à la vitalité hors du commun et empreint d'accents très jazzy, clôture avec un rare bonheur ce disque festif où l'auditeur va de surprise en surprise avec une admiration grandissante. A découvrir de toute urgence.
Bernard Postiau
Son: 9 Livret: 9 Répertoire: 10 Interprétation: 10