Féerie des sens pour le conte d'Humperdinck

par

Talia Or (Gretel), Gaelle Arquez (Hansel), Lothar Koenigs & La Monnaie Symphonic Orchestra

La forêt d'Ilsenstein, les fraises, les ballets, les pains d'épice, le chant du coucou, la maison de sucre et chocolat, la fée, la sorcière, deux enfants qui dansent et s'amusent, la misère du quotidien, le marchand de sable, la magie du rêve,... tout est réuni pour un conte de Noël que le compositeur allemand mit en musique à la demande de sa soeur qui venait d'écrire un recueil de textes d'après le conte Hänsel et Gretel des frères Grimm. D'autant plus que le recueil d'Adelheid Wette est fortement édulcoré, dépouillé de ses passages par trop cruels. C'est le Palais des Beaux-Arts qui cette fois accueillait La Monnaie dans son année "hors les murs". Aussi fallait-il adapter la mise en scène de l'oeuvre pour théâtre de marionnettes devenue opéra-conte. Peter de Caluwe avait fait appel au collectif Manuel Cinema de Chicago qui proposait un théâtre d'ombre : un grand écran en fond de scène sur lequel se projettent en ombres les lieux sur lesquels se détachent les profils des acteurs en action; une sorte de dessin animé d'ombres chinoises techniquement mis au point par des procédés cinématographiques de de pointe, tout cela "en direct". Une totale réussite quant à la façon dont l'image se calque sur la musique ; une parfaite mise en place. Une totale réussite aussi quant à l'esprit donné au chef-d'oeuvre d'Humperdinck qui rejoint ici sa vocation initiale de théâtre de marionnettes magnifié par la finesse des découpes des ombres -craquants le petit nez levé tout droit vers le ciel, les ronds blancs des yeux!
Sous la baguette de Lothar Koenigs, l'orchestre, sur le plateau, retrouve la somptuosité qui l'avait un peu quitté. Cela "sonne" avec gourmandise : couleur des cordes et des cuivres, précision des percussions, équilibre des pupitres, naturel des enchaînements de scènes... tout roule, tout coule de source, et on comprend tout à fait ici les propos de Gustav Mahler : "un chef-d'oeuvre [qui] vient à mes yeux joliment enrichir la littérature dramatique" ou ceux de Richard Strauss écrivant au compositeur : "C'est vraiment un chef-d'oeuvre de premier ordre, et je dépose à tes pieds mes voeux chaleureux pour son heureux parachèvement, ainsi que ma plus haute admiration". C'est lui qui créera l'oeuvre à Weimar en décembre 1893.
La musique d'Humperdinck, assistant musical de Wagner à Bayreuth, use des procédés compositionnels de son maître tout en le personnalisant à des fins moins grandioses, tels les leitmotive plus resserrés dans le temps ou l'usage de chansons populaires bien connues ou de caractère populaire venues de sa plume. Les deux rôles principaux sont tenus par la jeune soprano française Gaelle Arquez (Hänsel) et la soprano germano israélienne Talia Or (Gretel) au chant remarquable même si elles ne s'impliquent pas trop dans le jeu, contrairement à Dietrich Henschel (le père) et l'autrichien Georg Nigl (la méchante sorcière) totalement investis, ainsi que le marchand de sable et la fée de notre compatriote Ilse Eerens. On pourrait reprocher aux sopranos d'être parfois couvertes par l'orchestre mais la magie de l'"opération cinéma-ombre chinoise" est telle que l'on a souvent l'impression que les voix émanent de l'écran. En point d'orgue à la féerie, la Maîtrise de la Monnaie préparée par Denis Menier et La Choraline par Benoît Giaux étaient en tous points remarquables : précision des entrées, qualité et homogénéité vocales, sens des nuances, des phrasés,... la fraîcheur des voix d'enfants liée à un professionnalisme de haut vol... une merveille !
Si, au départ, le public semblait surpris, il fut très vite ravi si l'on en croit les tonnerres d'applaudissement qui remercièrent les protagonistes de la soirée.
Bernadette Beyne
Bruxelles, Palais des Baux-Arts, le 15 septembre 2015

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