Festival de Salzbourg, Monteverdi et Bizet, avec et sans mise en scène

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Pour la nouvelle production de LIncoronazione di Poppea (Monteverdi), l’intendant du festival de Salzbourg, Markus Hinterhäuser, a pensé à l’artiste flamand Jan Lauwers qui avait déjà été invité au festival avec sa « Needcompany » et avait été «artiste en résidence » au Burgtheater de Vienne pendant plusieurs années. Jan Lauwers n’avait jamais fait de mise en scène d’opéra et la seule œuvre qui l’intéressait, c’était L’incoronazione di Poppea.

Alors, quand on le lui a proposé, il a accepté la gageure. Je suis fasciné par les réflexions de Monteverdi sur la musique et l’opéra, qui correspondent parfaitement avec ma manière de travailler avec ma Needcompany, dit-il. Dans L’Incorazione di Poppea, Monteverdi offre une très grande liberté musicale que je veux traduire dans un Gesamtkunstwerk sur la scène. Il a réalisé une production où chanteurs et danseurs évoluent assez librement dans une constante interaction. Lauwers utilise le plateau comme une sorte d’arène et tout se passe sur un fond couvert de reproductions de corps morts des périodes de la renaissance et du baroque. La plupart du temps, la scène est vide, à l’exception d’une rangée de chaises au fond (avec des mouvements inspirés de la chorégraphie de Rosas) et un lustre impressionnant qui descend de temps en temps. Au milieu, une petite estrade où des danseurs tournent en rond, inlassablement, représentant le temps réel au milieu des évènements historiques évoqués sur la scène. Et en cohérence, les musiciens des Arts Florissants et William Christie sont intégrés, placés à l’avant-scène d’où Christie, au clavier, donne les indications. Le résultat est un spectacle très (souvent trop) vif où chanteurs et danseurs sont continuellement en mouvement, se frottent, s’entrelacent et dessinent des tableaux de groupes parfois inattendus. Mais il manque parfois la main du metteur en scène, surtout quand les chanteurs n’ont pas assez de personnalité ou d’autorité vocale. C’est le cas dans les scènes de Seneca où l’ajout d’un danseur n’est pas la solution idéale. Les costumes (Lemm & Barkey) combinent époques et styles dans un méli-mélo qui n’aide pas à profiler personnages et situations d’une manière convaincante. Nerone en hippie chic des années ‘60, c’était d’autant moins réussi que le rôle était interprété par une femme (l’excellente Kate Lindsey) qui n’arrive pas à rendre crédible le personnage de l’empereur romain malgré un portrait réussi de l’homme tyrannique, insolent, capricieux et cruel qui désire Poppea et ne pense qu’à faire d’elle son impératrice. Elle, l’amante calculatrice et ambitieuse, bénéficiait du physique séduisant et de la voix crémeuse de Sonya Yonchéva. Stéphanie d’Oustrac donnait noblesse et allure royale à Ottavia, humiliée, et exprimait sa douleur et sa rage dans un chant expressif. Ottone trouvait en Carlo Vistoli un interprète viril doté d’une voix souple mais Renato Dolcini ne parvenait pas à donner une allure vocale à Seneca. Dans les rôles comiques des nourrices, Marcel Beekman l’emporte sur Dominique Visse (pourtant dans son interprétation bien connue de Arnalta), surtout vocalement. Belle prestations d’Ana Quintans (Drusilla) et Lea Desandre (Amore/ Valetto) et un grand engagement de tout l’ensemble des chanteurs et danseurs. William Christie dirigeait les seize remarquables instrumentistes des Arts Florissants (participant parfois à l’action) d’une main subtile mais efficace et instillait au spectacle la spontanéité à laquelle aspirait Jan Lauwers aspirait.

Pas de mise en scène pour Les Pêcheurs de Perles (Bizet) que le festival offrait en forme de concert dans un Grosses Festspielhaus plein à craquer. L’opéra, surtout connu pour le duo pour ténor et baryton Au fond du temple saint est redevenu populaire ces dernières années et il sera cette saison à l’affiche d’Opera Vlaanderen. Le fait que des chanteurs éminents s’y intéressent joue bien sûr un rôle et, ici, Placido Domingo était annoncé pour Zurga. Infatigable et audacieux, cet artiste qui, après la carrière de ténor qu’on lui connaît, en a entamé une seconde comme baryton, s’appuyant sur une voix toujours éclatante et puissante. Elle n’a peut-être pas la vraie couleur de baryton, mais Domingo la porte de tout son art de l’interprétation et de son engagement dramatique. Après des débuts de baryton verdien, Athanaël de Thaïs (Massenet) a suivi rapidement et le voilà en Zurga, son 150ie rôle. Il avait la partition, ce qui est permis en version concert, et on a retrouvé cette voix riche et saine, son engagement et son empathie. La prononciation française n’est pas parfaite mais il envoûte. Contraste, bien sûr , avec la prestation du ténor Javier Camarena qui, familier du rôle de Nadir, se promenait sans partition, passant d’un partenaire à l’autre en projetant brillamment son ténor souple et lumineux dans une interprétation expressive et une belle projection du texte. Leïla, la jeune femme qui a envoûté Nadir et Zurga, était servie par la silhouette gracieuse et le charme vocal d’Aida Garufullina. Son soprano argenté flottait au-dessus de l’orchestre mais sans manquer de force vocale pour les moments les plus dramatiques dans un français soigné. Stanislav Trofimov conférait à Nourabad sa basse solide son aisance en français. Avec le Mozarteumorchester Salzburg, le chef Riccardo Minasi offrit une version haute en couleurs et d’une belle force dramatique sans oublier les qualités du Philharmonia Chor Wien. 

Grand succès !

Erna Metdepenninghen

Salzburg, les 20 et 23 août 2018

Crédits photographiques : © Salzburger Festspiele | Maarten Vanden Abeele

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