"Feux et tonnerre !" à Liège

par
Damnation de Faust

© Lorraine Wauters

La Damnation de Faust de Berlioz
On se souviendra de la première mise en scène de Ruggiero Raimondi à l'Opéra Royal de Wallonie : c'était l'Attila de Verdi, en septembre 2013. L'illustre chanteur, également acteur remarquable (Don Giovanni, Scarpia, Boris Godounov), s'était révélé peu convaincant et adepte, dans ses conceptions dramatiques, d'un franc retour vers le passé. Il semble s'être repris, quatre ans plus tard, et livre cette fois une Damnation de Faust, sinon géniale, du moins crédible scéniquement. Certes, il bénéficie du caractère hybride de l'oeuvre :  ni opéra, ni oratorio. Berlioz l'avait intitulée "légende dramatique", créant lui-même la confusion entre la scène et l'estrade. Il est un fait que l'oeuvre a souvent été montée, de nombreuses parties de la partition semblant appeler la mise en scène : la promenade de Faust, la marche hongroise, la scène de la taverne d'Auerbach, les airs maléfiques de Méphisto ou la terrifiante "Course à l'abîme" qui précipite le héros en enfer. C'est ce que Raimondi paraît avoir bien compris, en présentant non pas une trame continue, mais une succession de tableaux réunis par un décor unique : une gigantesque structure métallique circulaire, faisant souvent office d'escalier. Devant, juste derrière le rideau, un voile de tulle, présent toute la durée du spectacle, opacifiait légèrement la scène, comme si toute l'action se fût déroulée en rêve. De fréquentes projections agrémentaient l'intrigue, d'images de la Grande Guerre pour la Marche hongroise à la folle galopade des deux montures infernales pour la Course à l'abîme. Si le jeu d'acteurs restait plutôt inexistant, les lumières d'Albert Faura participaient on ne peut mieux à l'ambiance théâtrale, en particulier dans les tableaux où apparaissait Marguerite. Celle-ci, interprétée par la mezzo géorgienne Nino Surguladze, a fasciné par la beauté de son phrasé et le charme caressant de son registre grave : hélas, elle était incompréhensible. Ce défaut affectait aussi le Méphisto d'Ildebrando D'Arcangelo, grand chanteur pourtant (son air "Voici des roses" fut fort applaudi) mais, dans un rôle en or, tragédien fort moyen (ou mal employé par Raimondi). En Faust, Paul Groves, ténor de Louisiane, remplaçait Marc Laho, souffrant. Il a bien défendu ce rôle très lourd (il est quasi tout le temps sur scène), dès sa promenade nonchalante "Le vieil hiver a fait place au printemps". Très inspirée aussi, son émouvante scène de Pâques, ainsi que l'interprétation des deux grands airs, dont une Invocation à la nature touchant au sublime : sa voix excelle dans la douceur autant que dans la douleur. Il va sans dire que le grand duo "Ange adoré, dont la céleste image", constitua un autre beau moment du spectacle. N'oublions pas la brève intervention de Laurent Kubla, Brander bien chantant. Les choeurs de Pierre Iodice ont fort à faire dans La Damnation de Faust. Peu assurés lors de leur entrée (ronde des paysans), ils se sont rattrapés pour leurs deux scènes spectaculaires, le choeur bitonal des étudiants, et l'accueil en enfer (dans une langue imaginée par Berlioz).  Le chef Patrick Davin est chez lui à Liège, cela s'est senti tout de suite. L'orchestre lui obéit au doigt et à l'oeil, et fait ressortir l'extraordinaire virtuosité de la partition. Quelques solistes ont brillé, tels l'alto et le cor anglais dans les airs de Marguerite, le hautbois dans la chevauchée finale, mais aussi une très jolie flûte dans le menuet des follets. Si cette production de La Damnation de Faust n'approche pas l'idéal entrevu par le génie de son créateur (mais qui l'atteindra un jour ?), elle en reste une belle illustration scénique, et surtout, musicale.
Bruno  Peeters
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 5 février 2017

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