"Figaro su, Figaro giù !" La Trilogie de Figaro

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Pour ouvrir sa saison 2017-2018, le Grand-Théâtre de Genève présente à l’Opéra des Nations, en trois soirées consécutives, une Trilogie de Figaro, en partageant trois nouvelles productions avec le Welsh National Opera ; pour chacune d’elles, l’on retrouve la même équipe, le décorateur nonagénaire Ralph Koltaï, la costumière Sue Blane et l’éclairagiste Linus Fellböm. Selon la chronologie des pièces de Beaumarchais, se succèdent Il Barbiere di Siviglia de Rossini, Le Nozze di Figaro de Mozart et Figaro Gets a Divorce d’Elena Langer.

En ce qui concerne le premier ouvrage cité, la scénographie se limite à des panneaux laqués pivotants qui deviennent translucides, alors que l’appareil vestimentaire est actuel. Nous fait sourire le lever de rideau avec ses douze figurants encagoulés manipulant de gigantesques ciseaux de coiffure. La mise en scène de Sam Brown se veut à tout prix cocasse en costumant Pedrillo et ses acolytes en garçons de café avec gilets rayés et canotiers, Almaviva en homme-orchestre, le pseudo Lindoro en garde suisse tenue d’apparat, Don Basilio en vieux malvoyant guidé par un dogue mécanique. Mais à vouloir constamment forcer le trait, l’on finit par se désintéresser totalement d’une action qui a tôt fait de s’essouffler. Et l’on s’interroge sur la pertinence d’un corps de garde constitué de transsexuels bien inoffensifs, sur une Rosina petite fille modèle bégayant sa leçon de chant devant une épinette fumante où s’est lové le barbier. Quant à la musique, l’un des problèmes majeurs émane de la direction de Jonathan Nott à la tête du Chœur du Grand-Théâtre de Genève et de l’Orchestre de la Suisse Romande ; grandement admiré au concert, est-il pour autant un chef de théâtre ? Au début, la célèbre ouverture fait illusion par l’élégance du geste et la souplesse du phrasé ; mais rapidement, il faut constater que la baguette modèle un canevas en demi-teintes respectant le chant mais n’ayant aucune prise sur le plateau qui va seul son bonhomme de chemin. Une musique brillante comme celle Rossini peut paraître facile ; mais elle est truffée de pièges que, uniquement, une longue pratique permet d’esquiver. Au niveau des voix, le seul à être véritablement à sa place est le Bartolo de Bruno De Simone qui concrétise la basse bouffe idéale. Avec un timbre trop monochrome, le Figaro de Bruno Taddia tire toutes les ficelles du comique sans convaincre, alors que la Rosina de Lena Belkina a un grain trop corsé sans le rayonnement suave qui devrait découler aisément de sa maîtrise technique. Le jeune ténor roumain Bogdan Mihai possède la clarté de coloris et la maîtrise du chant orné du ‘tenore di grazia’ ; mais le manque d’étoffe et d’envergure se fait cruellement sentir dans les ensembles. Comme son Oroveso de Norma, le Basilio de Marco Spotti est fonctionnel, sans éclat particulier, à l’instar du Fiorello de Rodrigo Garcia. Par contre, la Berta de Mary Feminear, en bigoudis et chaussons, suscite l’hilarité.

Le lendemain, la présentation des Nozze di Figaro atteint un tout autre niveau. Les panneaux de Ralph Koltaï privilégient les tons neutres, avec une heureuse nuance verdâtre pour le tableau du jardin. Par contre, la couleur émane des magnifiques costumes XVIIIe chamarrés imaginés par Sue Blane. Et Tobias Richter, le directeur actuel du Grand-Théâtre, produit une mise en scène extrêmement intelligente qui a une dynamique naturelle sans vouloir innover délibérément. Et cette folle journée implique d’abord les deux voix graves italiennes, le baryton-basse Guido Loconsolo, Figaro au timbre cuivré jouant avec brio la rouerie effrontée face au Comte d’Ildebrando D’Arcangelo péremptoire et à la sensualité émoustillée par n’importe quel jupon. Sous les traits de son épouse, Nicole Cabell fait valoir une ligne de chant aussi digne que son personnage réservé et magnanime (ce que ne laissait pas présager sa bien pâle Alcina d’il y a quelques mois). Regula Mühlemann fait rapidement oublier l’acidité de ses premières interventions en dessinant une Susanna pimpante qui n’a pas froid aux yeux. La jeune Avery Amereau a la musicalité naturelle et l’aplomb d’un Cherubino séducteur en diable qui fera succomber l’ingénue Barbarina de Melody Louledjian. D’une extrême cocasserie apparaît la Marcellina de Monica Bacelli (qui bénéficie même de son arietta), efflanquée du Bartolo conformiste de Balint Szabo, quand le Basilio de Bruce Rankin préfigure un Karl Lagerfeld maniant avec perfidie les insinuations venimeuses. Romaric Braun (Antonio) et Fabrice Farina (Don Curzio) incarnent à ravir les ‘pseudo’ stupides. Et la baguette de Marko Letonja cultive la précision dans l’ouverture, même si pointent ensuite quelques décalages avec le plateau.

Et cette trilogie s’achève par Figaro Gets a Divorce d’Elena Langer, une compositrice russo-anglaise qui a accepté de mettre en musique le livret que le metteur en scène David Pountney avait tiré de deux pièces, La Mère coupable de Beaumarchais et Figaro lässt sich scheiden du dramaturge austro-hongrois Ödön von Horvath. Et l’œuvre a été créée par le Welsh National Opera à Cardiff le 21 février 2016. Comme un remake style Downtown Abbey version pour migrants, l’intrigue du premier acte frise le galimatias : transposée aux années 1930, la trame fait intervenir le Comte et la Comtesse, Figaro et Susanna fuyant la révolution ; ils sont efflanqués des tourtereaux Séraphin, qui serait le produit d’une liaison entre la Comtesse et Cherubino, et Angelika qui serait le fruit d’une aventure entre le Comte et Barbarina. Les jeunes gens s’aiment et voudraient se marier ; mais un doute plane sur le père véritable de Séraphin qui pourrait être finalement le Comte : à ce moment-là, tous deux seraient frère et sœur. Finalement Cherubino devenu Le Chérub, propriétaire d’une discothèque branchée, confirme sa paternité. Sous la menace d’un agent double, The Major (le Commandant), Susanna, Figaro et les amoureux prendront la fuite, tandis que le couple Almaviva restera en son château devenu asile psychiatrique.

Dans les décors de Ralph Koltaï suggérant les divers lieux d’action et les costumes neutres de Sue Blane travestissant les fuyards, la régie de David Pountney suggère brillamment l’enchevêtrement des situations en s’attardant sur deux figures charismatiques, The Major, officier au crâne rasé et odieux manipulateur et The Cherub, travelo adipeux que l’on imagine mal comme géniteur d’un fringant adolescent. Quant à Elena Langer, il faut lui reconnaître un talent d’orchestrateur avec un sens suggestif du coloris et une écriture vocale qui ne malmène jamais les moyens et les tessitures et qui sait devenir expressive dans les pages intimistes en duo. D’habiles inflexions ‘jazzy’ tributaires de la comédie musicale évoquent la duplicité du Major, alors que le reste de la partition tient souvent du ‘patchwork’ où se profilent le Britten d’Owen Wingrave ou le Strauss du Rosenkavalier.

A la tête du Basel Sinfonietta, Justin Brown qui avait assuré la création de février 2016 met en place sans la moindre défaillance un ouvrage complexe où reparaissent la plupart des interprètes de la première : le remarquable Alan Oke est le sarcastique Commandant ; tout aussi efficients s’avèrent le Figaro de David Stout, la Susanna de Marie Arnet, l’excellent Comte de Mark Stone, tandis que Naomi Louisa O’Connell et Rhian Lois personnifient les amoureux transis, le contre-ténor Andrew Watts, le malsain Cherub. Et Ellie Dehn est la seule à aborder pour la première fois le rôle de la Comtesse. En conclusion, sur trois soirées, l’on privilégiera l’indéniable réussite des Nozze di Figaro !                                           Paul-André Demierre
Genève, Opéra des Nations, les 12,13, et 14 septembre 2017

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