Fin de saison (un peu) en mineur au Vlaamse Opera

par

© Vlaamse Opera / Annemie Augustijns

Don Giovanni de Mozart
L'on attendait beaucoup, sans doute, de ce Don Giovanni mis en scène par Guy Joosten. Surtout après la réussite des deux autres opéras du cycle Da Ponte, justement célébrée, et qui seront repris, conjointement avec celui-ci, la saison prochaine au Vlaamse Opera (qui change de dénomination pour s'appeler "Opera Ballet Vlaanderen"). Et l'on en ressort mitigé, partagé. Aucune vision claire ne transparaît du spectacle : voilà qui étonne de la part d'un artiste aussi chevronné. On a beau lire et relire ses interviews dans le copieux programme de salle, la thématique cernée (théâtralité fictionnelle du héros, comportement nocturne) n'apparaît pas ou peu au spectateur. Vu la maîtrise professionnelle de Joosten, les images fortes ne manquent pas, bien sûr, mais elles ne forment pas un tout, une conception d'ensemble à laquelle on pourrait applaudir. La distinction de classes est mise en évidence par les costumes réussis d'Eva Krämer : d'époque pour les nobles, bourgeois contemporains pour Donna Elvira, populaires, et même ultramodernes, pour Zerlina, Masetto et les choeurs. Quelques moments remarquables : l'air Batti batti où Zerlina entortille son pauvre Masetto, tout ligoté au lit, la fuite de Don Juan enlevé dans les airs par des chevaux au premier finale, la mort descendant avec sa faux lors de la scène du cimetière, ou l'arrivée d'un Commandeur ensanglanté dans son fauteuil. Spectaculaire mort du séducteur, écrasé par un rideau représentant la main qu'il a dû serrer : au finale, les trois femmes soulèvent le rideau et ne retrouvent plus que la chemise de Don Juan... qu'elles s'arrachent. Belles images donc, mais ponctuelles, et qui, ensemble, ne forment pas une mise en scène. Ian Paterson dominait le plateau, Don Juan à la faconde superbe, né pour les planches, et à la parfaite articulation : avec son petit sourire en coin, il réjouiit le public à chaque apparition. Le Leporello d'Alastair Miles témoigne du grand professionnalisme de ce chanteur bien connu. Plus grave que d'habitude, Tijl Faveyts a plus que convaincu par son Masetto très vivant et joliment chantant. Par contre, déception de la part du ténor norvégien Magnus Staveland, Don Ottavio falot : la version de Prague choisie le prive de Dalla sua pace mais Il mio tesoro intanto indiffère. Déception aussi pour la Donna Elvira de Karine Babajanyan, bonne actrice, mais au timbre un rien ingrat et sans rayonnement particulier. Dans Non mi dir, la soprano dramatique turque Burçu Uyar fascine : toute sa prestation, dès son entrée précipitée au tout début de l'opéra, intéresse, vocalement surtout. C'est la très friponne Tineke Van Ingelgem qui recueille le plus de succès au salut final. Il faut avouer que sa Zerlina est brillante. Dans ses deux airs, elle affirme une voix claire et étincelante et, dans l'ensemble de la production, une présence scénique exceptionnelle. Elle reconnaît elle-même adorer le théâtre. Voilà une gloire montante du chant belge qui a débuté en "Fille-Fleur" du Parsifal de La Monnaie -à suivre de très près. Commendatore sonore de Jaco Huijpen. Habitué du Vlaamse opera, Alexander Joel dirige de manière fort correcte, un peu sèche parfois, mais très attentif au plateau. Ce Don Giovanni ne constitue pas l'éblouissement attendu, non : une production en demi-teinte, avec de grandes réussites mais aussi certaines faiblesses.
Bruno Peeters
Vlaamse Opera, Gent, 29 juin 2014

Les commentaires sont clos.