Focus : Melodiya fête ses 50 ans !

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C’est en 1964 que la firme Melodiya a vu le jour sur ordonnance du Conseil des Ministres d’URSS, pour remplacer l’ancien «All-Union Studio of Gramophone» et regrouper les studios situés à Moscou, Leningrad, Tallin, Riga, Vilnius, Tbilisi, Alma-Ata et Tashkent.
Son monopole et la quantité d’artistes que recelait le pays, lui a permis de réaliser une extraordinaire quantité d’enregistrements de musique classique, folk et de musique populaire ainsi que des enregistrements à contenu littéraire, historique et politique.

Des dizaines de millions de disques ont été vendus partout en Union Soviétique et dans le monde ; plus de 300.000 bandes d’enregistrement témoignent aujourd’hui de ce passé.

Peut-être le plus grandiose projet du temps de l’Union Soviétique fut-il la collaboration de l’ « URSS State Academy Symphony Orchestra » et de son chef Evgeny Svetlanov à la réalisation d’une anthologie de la musique symphonique russe. Plus de vingt-cinq années de travail, des centaines d’heures de musique russe couvrant plus d’un siècle et demi: non seulement les pièces maîtresses mondialement connues de Glinka, Tchaikovski, Borodine, Rimski-Korsakov, Moussorgski, Rachmaninov, Scriabine et Stravinski, mais aussi l’enregistrement de toute l’oeuvre orchestrale de Dargomyzhki, Balakirev, Glazounov, Taneyev et Liadov et celle de compositeurs moins connus mais sans lesquels le portrait de la musique russe aurait été incomplet tels Metner, Arenski, Kalinnikov, Lyapunov et d’autres encore. C’est l’ « USSR State Orchestra » qui, avec Evgeni Svetlanov, enregistra également les 27 (!) symphonies de Nikolaï Miaskovski.

Un autre grand chef, Gennady Rozhdestvensky, se distingua lors des enregistrements de ses concerts, tant en public qu’en studio. Le chef oeuvra d’abord à la tête du « Big Symphony Orchestra of All-Union Radio » puis il fonda l’ « USSR Ministry of Culture Orchestra », en résidence pour la firme Melodiya. Il proposait des programmes uniques combinant des oeuvres connues à d’autres rarement jouées, ou encore des oeuvres importantes complètement inconnues du public soviétique. La plupart de ces réalisations ont été enregistrées et les textes des pochettes rédigées par lui-même. Rozhdestvensky fut le seul dans son pays à enregistrer toutes les symphonies de Bruckner, de Sibelius et de Honegger, ainsi que les symphonies et les ballets de Prokofiev; en outre, il supervisa chez Melodiya les enregistrements des symphonies de Tchaikovski, Glazounov et Chostakovitch.

Yevgeny Mravinsky, ami de Chostakovitch et premier interprète de son oeuvre, fut le chef de l’ « Honoured Collective of the Republkic, Academic Symphony Orchestra of Leningrad Philharmonic Society ». Ses nombreux enregistrements en studio et en concerts de l’oeuvre de Mozart, Beethoven, Weber, Schubert, Brahms, Wagner, Bruckner, Richard Strauss, Tchaikovski, Stravinski et Chostakovitch réalisés à Leningrad, à Moscou et à l’étranger –notamment la série d’enregistrements « Mravinsky à Vienne »- restent toujours des références.

Un autre chef encore, Vladimir Fedoseyev qui succéda à Rozhdestvensky à la direction du « Big Symphony Orchestra of All-Union Radio ». Au fil du temps, il gagna une audience de plus en plus large. Dès le départ, il consacra beaucoup de temps à l’enregistrement en studio d’opéras et de musique symphonique russes dont des oeuvres rarement jouées, telle la version originale de Boris Godounov de Moussorgski. Nombre de ses enregistrements ont reçu un accueil chaleureux au dehors des frontières.

La collaboration du « All-Union Studio of Gramophone Recording » devenu Melodiya avec le Théâtre du Bolshoï a duré de nombreuses années. Les grandes oeuvres d’opéra et de ballet russes de même que des opéras de compositeurs étrangers appréciés des mélomanes autochtones ont été maintes et maintes fois enregistrées par les artistes, choeurs et orchestre du théâtre sous les baguettes de Nikolai Golovanov, Kirill Kondrashin, Boris Khaikin, Alexander Melik-Pashayev, Evgeni Svetlanov, Yuri Simonov, Mark Ermler et d’autres encore.

Quant aux solistes de la grande époque soviétique, ils se sont tous retrouvés chez Melodiya. Parmi eux, Sviatoslav Richter grand interprète de l’oeuvre de Bach et dépositaire d’un répertoire d’une richesse inouïe; Emil Gilels, grand défenseur de la musique romantique et interprète de l’intégrale des sonates de Beethoven ; Vladimimr Sofronitsky, subtil « scriabinien » qui préférait le studio et les petites salles ; Tatiana Nikolayeva, profonde interprète de la musique polyphonique de Bach et de Chostakovitch.

Les bandes de Melodiya préservent, pour les générations futures, de nombreux enregistrements de David Oistrakh et Leonid Kogan, grands représentants de l'école de violon soviétique, ainsi que des enregistrements des violoncellistes Mstislav Rostropovitch, Daniil Shafran et Natalia Gutman.

A la fin des années ’50, un nouvel ensemble de musique de chambre vit le jour à Moscou. C’était le « Moscow Chamber Orchestra » dirigé par Rudolph Barshaï grâce à qui on découvrit, en Union Soviétique, un nouvel style d’interprétation de la musique de chambre. Des dizaines d’enregistrements d’oeuvres de Bach, Haendel, Vivaldi, Haydn, Boccherini, Mozart, Beethoven, Prokofiev, Chostakovitch, Weinberg et Sviridov furent réalisés et distribués à travers le monde. D’autres ensembles ont suivi tels le « Rosconcert Chamber Orchestra » dirigé par Lev Markis, le « Leningrad Chamber Orchestra of Old and Modern Music » dirigé par Eduard Serov, le « Lithuanian Chamber Orchestra » dirigé par Saulius Sondeckis, et les « Moscow Virtuosi Chamber Orchestra » dirigés par Vladimir Spivakov.

Le festival de musique de chambre « Les Nuits de Décembre » créé par Sviatoslav Richter au Musée d’Etat des Arts Visuels rencontra très vite un grand succès grâce à sa programmation remarquable et à la participation des plus grands interprètes soviétiques et étrangers. Les dimensions de la salle ne permettaient pas d’accueillir tout le monde et les enregistrements représentaient un réel trait d’union entre les mélomanes et le festival.

Un grand nombre d’enregistrements de musique chorale russe furent également réalisés. Les pièces maîtresses de la musique liturgique de Rachmaninov et Tchaikovski, les concertos avec choeur de Maxim Berezovsky et Dmitri Bortnyansky, des chants du temps de Pierre le Grand et des pièces de l’ancienne Russie furent enregistrés pour la première fois par Melodiya avec la « State Academic Russian Choir » dirigée par Alexander Sveshnikov, le « Yurlov Leningrad Academic Choir » et le « USSR Ministry of Culture Chamber Choir » dirigés par Vladimir Minin. Une série d’enregistrements intitulée « Pour les mille ans de la christianisation de la Russie » virent le jour; une anthologie de la musique sacrée russe reprenait vie après quelques décades d’oubli.

« 100 ans de Musique », une autre série enregistrée par l’Ensemble Madrigal, suscita l’attention des adeptes des répertoires médiévaux, renaissance et baroque de différents pays, une musique jusque là peu connue en Russie.

Les enregistrements Melodiya ont redonné vie à des oeuvres russes et soviétiques longtemps absente des salles : l’opéra « La Foire de Sorotchintsi » de Moussorgski, « Dobrynia Nikitich » de Gretchaninov, « Le Nez » de Chostakovitch, « L’Histoire d’un homme véritable » de Prokofiev et aussi des compositeurs du 18e siècle tels Yevstignei Fomin, Vassily Pashkevich et Dmitri Bortnyansky.

C’est Melodiya encore qui révéla des nouveaux noms de musiciens qui prolongeaient la tradition de l’école russe : les pianistes Michael Pletnev et Yevgeny Kissin, les violonistes Vadim Repin, Maxim Vengerov et Sergei Stadler, les violoncellistes Alexander Rudin et Ivan Monighetti ainsi que les lauréats du Concours Tchaikovski.

Au milieu des années ’80, quand tombèrent les barrières idéologiques, des enregistrements de compositeurs d’avant-garde commencèrent à sortir du bois : Alfred Schnittke, Edison Denisov, Sofia Goubaidoulina, Vyacheslav Artyonon, Nikolaï Karetnikov, Vladimir Martynov,...

Melodiya s’attache aussi au travail de restauration de bandes réalisées par les grands interprètes du 20e siècle. Ce travail a donné naissance à une série intitulée « From the Treasury of World Performing Art » qui propose des enregistrements de chefs, pianistes, violoncellistes et chanteurs du passé. La totalité des enregistrements par Rachmaninov et Chaliapine ont ainsi été réalisés aux côtés des enregistrements cultes de Wilhelm Furtwängler dirigeant les Orchestres Philharmoniques de Berlin et de Vienne.

La série « Outstanding Masters at Concert » reprend les enregistrements « live » à Moscou ou Leningrad d’illustres musiciens étrangers comme les chefs Herbert von Karajan, Igor Markevitch, George Enescu, et Zubin Mehta, les pianistes Van Cliburn, Glenn Gould et Arthur Rubinstein, les violonistes Yehudi Menuhin, Henryk Szering et Arthur Grumiaux, les violoncellistes Pierre Fournier et le ténor Nicolaï Gedda.

Melodiya coopère également avec quelques grands labels. Des enregistrements de musiciens soviétiques ont été réalisé dans divers pays d’Europe, au Japon et aux USA, manufacturés sous licence EMI, Decca, Deutsche Gramophon et Polydor International. Ils furent publiés en URSS, y révélant des oeuvres rarement jouées et des interprètes remarquables.

L’oeuvre complète de Tchaikovski au disque fut une autre réalisation importante de Melodiya qui réunit pour le compositeur fétiche de grands solistes, chambristes et choeurs du pays.

L'arrivée du disque compact au début des années '90 et la disparition du vinyl furent le début d'une nouvelle ère pour la maison de disques. Durant les vingt dernières années, la plupart des enregistrements d'archives furent repris en CD. Toutefois, de nombreux albums furent l'occasion de précieuses découvertes pour les mélomanes : une série d'enregistrements qui, pour diverses raisons, n'avaient pas été édités, ou seulement en petits nombres, furent enfin mis à leur disposition. Tout d'abord, une série « Emil Gilels in Ensembles », une collection complète des enregistrements du pianiste avec d'éminents partenaires furent édités pour la première fois. ; les enregistrements de Kirill Kondrashin (son départ d'URSS en 1978 mit au ban, dans le pays, ses enregistrements) en particulier les symphonies de Mahler et de Chostakovitch qu'il enregistra avec l'orchestre symphonique de la Moscow Philharmonic Society) ; les albums des remarquables violonistes Mikhail Weiman et Boris Goldstein ; les enregistrements d'oeuvres d'Alexander Loksin, etc... et une anthologie des enregistrements de Vladimir Sofronitsky verra le jour cette année.

Alors que le pays connaissait des temps difficiles, Melodyia s'attacha à présenter une nouvelle génération de musiciens russes. Ainsi, dans les années '90, parurent des enregistrements de l'orchestre de chambre « Musica Viva », du « Moscou Baroque » et du choeur de chambre du Conservatoire de Moscou dirigé par Boris Tevlin. Dernièrementsont parus des enregistrements des cantatrices Hibla Gerzmava et Alexandra Durseneva, des pianistes Ekaterina Mechetina et Boris Berezovsky, du violoniste Mikhail Kugel, du violoncelliste Alexander Kniazev, ainsi que des jeunes musiciens tels Yulia Igonina (violon), Vazgen Vartanian (piano) et Pavel Stolbov (clarinette).

L'année 2013 fut particulièrement riche en événements pour Melodiya. Après 22 années d'interruption, la firme retravaille également en vinyl ! En cette année anniversaire, 50 titres sont planifiés : un par année d'existence. 2013 fut également, pour la première fois depuis des années, celle de l'obtention de deux prestigieux prix internationaux : un ICMA pour l'album Stravinsky (Les Ballets russes dirigés par Pierre Boulez, Dmitri Kitayenko et Vladimir Fedoseyev) et un « Toblacher Komponierhäuschen » pour l'enregistrement de la 4e Symphonie de Mahler (direction David Oistrakh et, en soliste, Galina Vishnevskaya). Cette année est aussi celle de la proposition d'un nouveau format digital sur Internet. Les premiers DVDs avec les ballets du Bolshoï ont été réalisés avec Bel Air Media.

Quinquagénaire, Melodiya a traversé les tempêtes. Son catalogue et ses caves laissent mille musiques à découvrir. Ses projets : de nouvelles reparutions et d'exploitation de ses archives ; une coopération internationale toujours plus développée et des enregistrements avec les solistes et ensembles russes du 21e siècle.

Bernadette Beyne

 

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