Hourvari !

par

Luciana d'Intino (Amneris), Oksana Dyka (Aida) et Marcelo Alvarez (Radamès)
© Opéra national de Paris/ Elisa Haberer

Aida à Opéra Bastille
Il y a bien longtemps que l'Opéra de Paris n'avait connu pareil hourvari! Car ce fut un beau tumulte. A la Générale, une dame s'écria à l'adresse du metteur en scène «Vous avez trahi Verdi!». A la Première du 10 octobre, ce fut bien pire. Car si pendant le spectacle, en présence de la ministre de la culture recroquevillée sur son siège, on notait des «mouvements divers», à la fin ce fut un tonnerre digne d'Hernani! «On n'est pas sûr d'avoir compris les huées vigoureuses qui ont accueilli Olivier Py au baisser de rideau» écrit le critique musical d'un grand journal. De qui se moque-t-il vraiment? Monsieur Py, metteur en scène expérimenté, homme de culture, ancien séminariste, n'est pas n'importe qui. Il a donc davantage de devoirs envers son public. Or celui-ci a été pris en otage pendant 2 heures et demi dans sa vision, son écoute, pire, dans sa conscience voire ses croyances. Avec son alter ego Pierre-André Weitz (décors et costumes) il transforme l’œuvre en ses plus solides fondations, en réalisation digne d'Hollywood alors que -comme il le proclamait pourtant lui même!- Aïda est un opéra intimiste, débutant piano, s'achevant pianissimo. Mais profiter des fameuses trompettes pour basculer dans la pire notation politique est une erreur fatale, voire une faute criante contre l'intelligence. Tournoiement de temple, rafales de colonnades, palais fasciste en dorures astiquées par des femmes de ménage aveuglent la salle, des militaires torse nu en treillis entraînent des «opposants» mitraillette dans le dos. Un arc de triomphe se soulève au dessus d'un charnier où les soldats piétinent des monceaux de cadavres en silicone. Au dessus, une ballerine en tutu blanc danse un pas de deux. Des syndicalistes brandissent des pancartes rédigée en français (!) «Mort à l'étranger» «Vive la Nation» «Droit du sang»; des cagoulés du Ku Klux Klan sillonnent la scène devant une croix géante d'or embrasée; le patriarche égyptien vêtu en évêque -chasuble et mitre d'or- bénit le souverain et le char Leclerc doré qui fait office... d'armes sacrées. Passage à tabac d'un «étranger» par les militaires (ballet du II ). Un pendu tombe des cintres et se balance jusqu'à la fin. Des déportés traversent la scène avec leurs valises... N'est-ce pas suffisant pour consterner, exaspérer des spectateurs (contribuables) pris au piège d'une représentation qui n'a rien à voir avec le titre annoncé et fatigue par sa morbidité, son conformisme, son étroitesse d'esprit. D'autant que la distribution reste fort disparate. Oksana Dyka donne du décibel mais aucune émotion, sa rivale Luciana d'Intino (Amnéris) offre quelques beaux moments mais n'assure pas l'homogénéité d'une tessiture au registre médium absent. Véritable verdien pourtant lui aussi, le ténor Marcello Alvarez incarne un Radamès au timbre toujours chaud et moelleux, vocalement élégant mais très contracté. Ramfis et Amonasro (Roberto Scandiuzzi et Sergey Murzaev) s'avèrent approximatifs tant en justesse qu'en style. L'orchestre et les chœurs -très applaudis- ont offert de beaux moments dirigés âprement et pas toujours avec la cohérence espérée par Philippe Jordan. Aïda n'avait pas été représentée à l'Opéra de Paris depuis 1968 avec la grande Léontyne Price. Ici, en ce jour anniversaire de la naissance de Verdi (1813-1901), l’œuvre originale, commandée par le khédive d’Égypte, supervisée par l'égyptologue Auguste Mariette n'est que prétexte à un réquisitoire auquel la «Grande Boutique» a prêté ses moyens fastueux, son savoir faire, son travail pour un résultat tendancieux, outrancier et, par là même, insignifiant. A quand Aïda à l'Opéra National de Paris?
Bénédicte Palaux Simonnet
Paris, Opéra Bastille, le 10 octobre 2013

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