Intérêt musicologique, interprétation décevante

par

Claude DEBUSSY (1862 - 1916)
Intégrale des Mélodies
Liliana FARAON (soprano), Magali LEGER (soprano), Marie-Ange TODOROVITCH (mezzo), Gilles RAGON (ténor), François LE ROUX (baryton), Jean-Louis HAGUENAUER (piano)
Piano Blüthner (1905)
2014-4 CD-DDD-Présentation, livret et textes en français et anglais-LIGIA -LIDI 0201285-14, distribution Harmonia Mundi

Un pavé : 4 CD qu'accompagne un livret de 236 pages, précis comme un inventaire, dû à Denis Herlin, musicologue spécialiste de Debussy dont il a publié la correspondance générale ( en « corrigeant » sans sourciller les nombreuses fautes d'orthographe, au prétexte de lisibilité pour les lecteurs anglophones. Triste maquillage... qui nous prive de l'auteur « à vif »)... L'abondante présentation nous dit « tout ce qu'il faut savoir » sur l'auteur, ses goûts littéraires, son évolution stylistique guidant ses choix poétiques.
Cent une mélodies (en comptant certaines versions revues et, parfois, non publiées jusqu'ici). Ce chiffre nous « explique » l'originalité du musicien, par rapport à ses goûts certes, mais également par rapport à la vie littéraire du temps. De fait après avoir choisi quelques textes romantiques (Musset, notamment) Debussy pioche dans les poèmes parnassiens de Leconte de Lisle, ou Banville, et bientôt dans les plus symbolistes de Verlaine et Baudelaire, en attendant de se frotter aux « modernes » Paul Bourget, Mallarmé avant de revenir (comme nombre des compositeurs contemporains) au Moyen-Age de Charles d'Orléans ou Villon.
La « production » de Debussy est fort éclairante sur ses goûts poétiques, mais également ses attirances et préoccupations. Cent une mélodies : voilà un compte qui s'inscrit dans une très honnête moyenne, beaucoup plus en effet que Duparc (17) Lalo (35), Berlioz (38), Bizet (48). Plus que Félicien David (60) ou Chausson (56), mais beaucoup moins que Fauré (104), Victor Massé (117!), Saint Saëns (144), Gounod (196) et... Massenet (223).
Mais il est un autre enseignement : il arrive que le compositeur, happé par d'autres sujets (Pelléas, grandes fresques orchestrales) ne signe aucune mélodie : ainsi des années 1893-96, puis en 1900-1902, à nouveau de 1905 à 1909, et encore en 1911 et 12... Cette diversité dans la continuité en dit long sur ce que représentait alors pour lui la mélodie, d'abord création essentiellement « mondaine », « poétique » ensuite  , « engagée » enfin (la dernière, par exemple, le fameux "Noël des enfants qui n'ont plus de maison" qui montre le patriotisme de celui qui signe désormais « Claude de France »).
Et ceci s'explique par le choix au cours des années : si les romantiques ou approchés restent discrets en nombre (Musset : 3 ; Gautier : 2) le grand nom sollicité reste Verlaine (28 fois! alors que Banville doit se contenter de 12 emprunts, et -ce qui est plus étonnant!- Mallarmé reste limité à 4 textes et Baudelaire 5 alors que Bourget bénéficie de 11 sollicitations...
L'intérêt musicologique de ce coffret -qui contient quelques menues variations justifiant le titre de « première mondiale »!- s'avère donc de premier ordre en ce qui concerne l’œuvre vocal de Debussy augmenté encore par l'utilisation de l'un de ses pianos, un Blüthner de 1905 conservé au Musée Labenche de Brive-la-Gaillarde et qui sonne fort joliment.
On en peut, hélas, en dire autant des interprètes car la performance « musicale » ici, fait en grande partie, défaut. Les trois voix féminines sont constamment sous tension avec des vibratos insistants et une diction trop approximative (Même « Les Elfes » qu'on attendait semblent bien acides !). Il en va de même pour le ténor Gilles Ragon à l'expression trop étudiée, peu naturelle, aux couleurs ternes et au vibrato pesant. Le seul « debussyste » : François Le Roux qui fut successivement Yniold, Pelléas et Golaud , donne l'idée des perspectives complexes et de la densité d'émotion qui doit surgir de ce splendide répertoire. Bonne idée d'avoir confié le « Noël » à une voix d'enfant comme le voulait Debussy. Côté piano, l'interprétation aux arêtes vives peine à rendre compte du velouté, du moelleux, de la sensualité du compositeur. En fait, l'ensemble du coffret manque dramatiquement de poésie debussyste. On s'en attriste...
Bénédicte Palaux Simonnet

Son 9 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 6

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