Irrépréhensible Currentzis

par

En deux soirées, le public romand a été confronté à ce phénomène qu’est Teodor Currentzis à la tête de son ensemble de Perm, musicAeterna. A le voir entrer en scène, dégingandé avec son look gothique improbable, l’on se frotte les yeux ; et lorsqu’il attaque les premières mesures, l’on reste médusé en suivant aveuglément sa prospection ou en la rejetant radicalement. A Montreux, son programme intitulé Le Son de la Lumière évoque la figure complexe de Jean-Philippe Rameau en braquant les feux sur douze de ses ouvrages lyriques. Passant des sonorités les plus ténues à une intensité jubilatoire martelée par un gigantesque tambour, il accentue violemment les contrastes pour révéler l’originalité novatrice de cette musique. Et les quelques interventions de la soprano américaine Robin Johannsen glissent une note flamboyante dans les passages d’ornementation avant de nous submerger sous une indicible émotion avec le premier air de Télaïre dans Castor et Pollux. Et c’est la célébrissime Chaconne des Sauvages dans Les Indes galantes qui amène le public au délire.
Le lendemain, à Genève, l’Opéra des Nations accueille la version de concert de The Indian Queen, l’ouvrage inachevé d’Henry Purcell créé au Drury Lane Theater de Londres au printemps 1695. Peter Sellars en a conçu une mouture nouvelle en utilisant toute la musique élaborée pour cet ouvrage ainsi que divers chœurs religieux et des pages telles que « O Solitude », « Sweeter than roses » et « Musick for a while » devenues célèbres par les enregistrements mémorables d’Alfred Deller. Le sujet dramatique relate le conflit entre les Aztèques et les Incas et la brutale répression des conquistadors. Cette relecture a été proposée en septembre 2012 à l’Opéra de Perm puis au Teatro Real de Madrid et à l’English National Opera de Londres ; de la production originale subsistent, pour Genève, la récitante, la saisissante actrice portoricaine Maritxell Carrero, et le Chœur de l’Opéra de Perm, en tous points exceptionnel. Tout aussi remarquable est la phalange de solistes incluant la soprano Johanna Winkel (Dona Isabel), les deux contreténors Ray Chenez (Hunanpu) et Christophe Dumaux (Ixbalanqué), la mezzo Paula Murrihy (Teculihuatzin), le baryton Jarrett Ott (Don Pedro de Alvarado), la basse Willard White (le prêtre maya) et le ténor Thomas Cooley (Don Pedrarias Davila). Et là aussi Teodor Currentzis et musicAeterna dynamisent l’ensemble et tiennent en haleine le spectateur sur une durée de plus de trois heures.
Paul-André Demierre
Le Son de la Lumière, Montreux, 3 septembre / The Indian Queen / Genève, Opéra des Nations, 4 septembre

Les commentaires sont clos.