Javier Perianes : tout s'est passé selon un processus naturel

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C'est le pianiste espagnol Javier Perianes qui représentera le label Harmonia Mundi au Concert de Gala des ICMA à San Sebastian le 1er avril prochain. Remy Franck l'a rencontré.

- En Espagne, si on ne tient pas compte des compositeurs qui étaient aussi pianistes, il reste Alicia de Larrocha, Joaquín Achúcarro, José Iturbi ... et vous. L'Espagne est-elle une terre de piano?
La plus grande pianiste espagnole était évidemment Alicia de Larrocha. Elle a joué avec tous les grands orchestres du monde. Mais il y avait aussi Rafael Orozco qui a fait un enregistrement des quatre concertos de Rachmaninov avec Edo De Waart à Rotterdam. Pour moi, c'est un grand honneur que vous ajoutiez mon nom sur cette liste.

- Mais le piano n'a pas été votre premier instrument ...

C'est vrai. J'ai commencé par la clarinette. Je suis originaire d'un très petit village du sud de l'Espagne où ne ne parlait pas de piano. La tradition, c'était le groupe local avec des instruments à vent. Et j'ai commencé ainsi. C'est une de mes tantes, professeur de piano, qui m'a fait découvrir un grand piano pendant des vacances en famille. J'ai été émerveillé. Elle m'a convaincu, et elle convaincu mon père et ma mère. Et me voilà. Tout s'est passé selon une sorte de processus naturel et j'en suis très fier.

- Il n'y a donc pas eu un moment où vous avez décidé de devenir pianiste?

Non. Et je ne suis pas encore bien décidé maintenant. Je n'ai jamais pensé "Je veux être pianiste". C'est un processus naturel et je suis très heureux ainsi.

J_Perianes-2E- Mais pourtant, vous jouez partout, en Europe, aux États-Unis et en Asie ...

Et j'en suis très heureux. J'entretiens d'excellentes relations avec les grands chefs et orchestres du monde entier. C'est une vie un peu folle... Mais je travaille beaucoup, je suis plus responsable qu'avant. Peut-être plus passionné aussi : pour moi, ce n'est pas une profession, c'est une façon de concevoir la vie. Une sorte de vocation. Aujourd'hui, j'ai répété le Concerto de l'Empereur. Après la répétition, le chef m'a demandé si j'étais heureux. Oui, je suis heureux. Il a insisté : "Mesurez-vous le plaisir qu'il y a à jouer ce concerto ?" C'est un grand plaisir ! La musique, c'est un cadeau incroyable. Quand on vit chaque jour avec cette magie en soi, on est un homme privilégié.

- Quel est votre répertoire de prédilection?

Aujourd'hui, c'est le 5e de Beethoven. La semaine dernière, c'était le 21e de Mozart que je devais jouer. Dans deux semaines, ce sera le concerto pour piano de Schumann. Je ne peux pas dire que j'aime Chopin plus que Beethoven... Schumann, Brahms, Debussy, Ravel, Falla, Granados, Albeniz... il y a tant de choses à découvrir. Je préfère ne pas choisir.

- Le répertoire espagnol représente-t-il quelque chose de particulier pour vous ?

Non. Je joue de la musique espagnole, bien sûr. Quand je propose de la musique espagnole dans un de mes programmes, c'est parce que je pense que cette musique mérite de figurer dans ce programme. Pas parce que je suis espagnol.

- L'origine espagnole est-elle importante ou bien pensez-vous que tout le monde peut jouer la musique espagnole comme vous ?

Tout le monde peut jouer la musique espagnole. Bien sûr, il y a dans cette musique des éléments qui appartiennent à la musique traditionnelle. Mais il est très facile de ressentir les rythmes, de travailler et de réussir.

- Est-ce que votre vie musicale a changé par rapport à vos débuts ?

Peut-être. Comme je vous l'ai dit, je suis devenu un musicien plus responsable. Mon mode de vie n'est pas une manière de gagner de l'argent, c'est une sorte de vocation. Au cours des dernières années, j'ai senti que ce que je fais exigeait encore plus d'attention. C'est pourquoi je travaille. J'étudie et je lis. Plus que jamais. Pas par devoir, mais parce que c'est ça que j'aime faire. Je pense que le public ressent cela.

- Avez-vous des craintes pour l'avenir de la musique classique?

Depuis 20 ans, j'entends que la musique classique va mourir. Ce n'est pas encore le cas. Donc, attendons encore 20 ans... Il y a des petites choses qui changent, c'est inévitable. L'auditoire est différent. La façon d'accéder à la musique est en train de changer. Mais je ne pense pas que la perception, les attentes des gens vont aller décroissant.

- Nous avons parlé du répertoire plus tôt. Quel est votre lien avec la musique contemporaine?

Il y a plusieurs années, j'ai fait tout un récital avec la musique de Schnittke, Gubaidulina, Feldman, Tippett, et beaucoup d'autres belles oeuvres étonnantes, de la musique composée dans les années soixante. C'était très difficile mais j'ai vraiment beaucoup aimé. Ces dernières saisons, je n'ai plus pu faire de musique contemporaine du fait de tous mes autres engagements. Je voudrais rencontrer un compositeur que j'aime vraiment et qui aine ce que je fais, et lui demander de m'écrire un concerto pour piano. Cela fait vraiment partie de mes plans pour le futur, ce n'est pas qu'un rêve. Pour le moment, je suis à l'écoute des compositeurs, je me familiarise avec leur musique et leur style. Je devrai me sentir à l'aise avant de demander à quelqu'un d'écrire pour moi.

- Quelle est votre relation avec le public? Comment vous sentez-vous et sentez le public?

Le public fait partie de nous. Le public est le meilleur allié ou le meilleur ennemi. Je pense par exemple au public japonais : il est tout le temps dans le silence. C'est un allié parfait, il vous laisse donner tout ce que vous voulez exprimer. Ici, en Europe ou dans les pays latins, vous sentez la chaleur de l'auditoire et vous réalisez qu'ils aiment le concert. Fondamentalement, la relation avec le public est très simple. Vous êtes là pour leur transmettre le message du compositeur. Vous êtes le moyen. Vous ne pouvez pas être l'acteur principal dans ce film. L'interprète est en face d'eux, mais le message est plus grand, il le dépasse.

- Et si le public s'ennuie ou est trop excité?

S'il s'ennuie, c'est de votre faute. Surtout pas de la leur. Il peut y avoir d'autres facteurs, quelque chose qui est arrivé avant le concert... Mais l'objectif principal, c'est d'attirer et de retenir l'attention de l'auditoire. L'emmener avec soi. Avec la musique.

- Y a-t-il un genre que vous préférez ? Concertos, musique de chambre, soliste?

Je n'ai pas de préférence. Evidemment, quand vous jouez en soliste, vous faites ce que vous voulez faire. Quand vous jouez avec un orchestre ou en musique de chambre, il faut discuter, se mettre d'accord sur les tempi et sur tout le reste. Si vous accompagnez un chanteur, vous mettez toute votre musique au service d'un autre musicien. Mais toutes ces façons de faire de la musique sont étonnantes.

- Pour les enregistrements, vous préférez le 'live' ou le studio ? 

Je serais ravi d'avoir des enregistrements 'live', mais c'est très difficile. J'ai fait des enregistrements 'live' avec orchestre. Mais un enregistrement en direct de sonates de Schubert, c'est difficile à réaliser. C'est possible... Il faudrait que toute l'équipe soit disponible pour 3, 4 ou 5 récitals et qu'on décide ensuite ensuite ce que l'on garde. Cela coûte très cher.

- Qu'est-ce que cela signifie pour vous de faire des enregistrements?

Un enregistrement, c'est un regard sur ce que je fais en ce moment. Si j'enregistre un compositeur ou une pièce spécifique, vous le trouverez dans mes concerts. C'est une manière de montrer au public ce que je fais. Il y a beaucoup de gens, après le concert, qui demandent s'il en existe un enregistrement. Oui, l'enregistrement fait partie de moi.

- Quelle est votre opinion sur Harmonia Mundi en tant que label aujourd'hui?

J'ai commencé avec Mompou quand j'étais très jeune. Nous avons fait beaucoup de projets ensemble. Donc, tout d'abord, je dois les remercier pour cette collaboration. Pour moi, Harmonia Mundi n'est pas une entreprise où il faut se battre pour obtenir la réalisation d'un projet. Harmonia Mundi fait partie de ma carrière. C'est "mon" entreprise. Je disais sans cesse à Eva Coutaz que je la remerciais parce que je me sentais membre de cette famille. Nous y discutons des choses comme des amis. Donc, je peux y développer mes idées avec un groupe d'amis, de personnes enthousiastes qui travaillent pour la musique.
Propos recueillis par Remy Franck
Paris, le 3 décembre 2015

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