La leçon de Barbara Hannigan

par

La diva canadienne, lauréate du Prix Rolf Schock (Suède) et donc bénéficiaire de sa riche dotation, a déclaré qu'elle destine celle-ci à Equilibrium Arts, l'organisation de mentorat qu'elle a fondée.

Elle s'en est largement expliquée :

Enfant, dans le village de Waverley,en Nouvelle-Écosse, la musique m'appelait. Mes parents ont élevé cette petite fille qui aimait chanter, ils m'ont appris la régularité et la discipline dans le travail, m'ont encouragée à faire des heures de pratique même quand je ne me sentais pas inspirée et ils ont cherché avec moi les professeurs et les mentors qui allaient m'aider à développer mes compétences.
Plus récemment, la direction d'orchestre a pris une place particulière à côté du chant. Dans les deux activités, je rejoins mes collègues musiciens soucieux de résonner avec l'oeuvre du compositeur, ensemble au service de la partition, et de partager cette concentration sonore avec ceux qui nous écoutent.
Et travailler avec des compositeurs vivants est une expérience particulièrement gratifiante.

Je suis très heureuse d'être encore en scène à 47 ans et je constate que je fais largement partie des aînés à l'opéra.
Il y a quelques années, un collègue à qui je faisais remarquer que nous nous ressemblions m'a gentiment répondu : Oui, tu ressembles à ma mère. Le réveil !
Il était temps d'ajouter une corde à mon arc. Et avant même de m'en rendre compte, j'avais créé une initiative de mentorat pour les jeunes musiciens professionnels que j'ai décidé d'appeler Equilibrium.

L'objectif d' Equilibrium est d'accompagner les jeunes artistes au début de leur carrière, les aider à mettre en place la discipline et l'éthique de travail indispensables pour que leur passion pour la musique reste au cœur celle-ci au-delà des défis musicaux et non musicaux auxquels ils seront confrontés.

La plupart des musiciens commencent leur carrière lorsque, enfants, ils "jouent" littéralement de la musique, puis ils poursuivent leur rêve dans la joie et l'abandon. La frontière est floue entre la musique comme activité extrascolaire et la formation professionnelle. Et soudain, ils se retrouvent devant les premières années de leur carrière. Même accepter le mot professionnel, c'est intimidant. Et les jeunes artistes sont sans cesse confrontés à une muraille de défis : nouveaux collègues, villes et langues étrangères, choix du bon répertoire, effets des voyages et de la solitude, éloignement des amis et de la famille, effets psychologiques des critiques dans les journaux et sur Internet. Alors qu'ils essaient juste de rassembler assez d'argent pour payer leur loyer et leur billet d'avion pour l'audition suivante avant de devoir souvent faire face à une déception alors même que leur compte en banque est presque vide. Ils doivent apprendre à gérer leur temps et leurs priorités sans l'horaire imposé des conservatoires ou écoles d'opéra. Et beaucoup d'entre eux essaient de trouver leur voie sans agent pour les aider à décider des engagements à accepter et dans quelles conditions.
Ces défis persisteront au cours de la carrière mais ils sont particulièrement difficiles et troublants au début d'une carrière. Il faut que ces jeunes artistes comprennent que les artistes qu'ils admirent, les artistes comme moi, assez âgés pour être leur mère ou leur père, ont aussi eu des moments où ils étaient prêts abandonner, des périodes où ils n'ont pas pu résister aux pressions extérieures pour que qu'ils acceptent des compromis qui ont bousculé leur équilibre, des périodes de triomphe public mêlées d'incertitudes personnelles et vice versa.
Lorsque nous prenons le temps d'encadrer nos jeunes collègues et de partager avec eux les méthodes que nous avons développées (dont plusieurs fonctionnent !), nous les aidons à traverser cette période difficile et à revenir au cœur de ce que c'est que d'être musicien.

Je me rends compte à quel point les mentors ont été importants dans mon propre développement, et encore aujourd'hui. Il y a une limite à ce que l'on peut apprendre de Google... Nous devons nous connecter avec les gens, cœur à cœur ! Nous devons nous raconter nos histoires, partager et transmettre nos connaissances.

Cette année, Equilibrium compte 24 jeunes musiciens : 20 chanteurs et 4 chefs d'orchestre. Sélectionnés parmi plus de 350 candidats, ces artistes (talentueux, disciplinés, curieux et courageux) viennent de 12 pays, de la Guadeloupe au Canada en passant par l'Australie. Trois sont suédois ! Notre travail ensemble est fait de retraites, d'ateliers intensifs, de prestations publiques avec des orchestres de haut niveau en Europe et en Amérique du Nord.

 

Les commentaires sont clos.