Les chanteurs asiatiques nombreux aux Concours, et puis...

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A la mi-octobre, la première de The Golden Dragon (Peter Eötvös), programmée au Hackney Empire à Londres, a dû être annulée après avoir attiré les foudres de la communauté asiatique : le casting était composé uniquement d’artistes blancs alors que l’histoire se déroule dans un restaurant chinois.

Si souvent distingués dans les concours, on retrouve peu les chanteurs asiatiques sur les scènes. Pourquoi ?
Les professionnels de l’opéra évoquent plusieurs écueils.

D’abord, la langue
Pour les Coréens, c’est plus facile de chanter l’italien que le français, estime Laurence Patermo. Ce sont des gens qui peuvent avoir un rôle en français à l’étranger, mais pas dans un pays francophone. Pour Philippe Maillard qui dirige l’agence "Les Concerts Parisiens", ils ont appris la prononciation, mais ils n’ont pas la rythmique, la prosodie, la prononciation. Et cette langue française si difficile devient un obstacle majeur quand il s’agit de la parler : aux concours, on chante les airs, on ne fait pas le récitatif. Quand on passe à l’opéra entier, par exemple Wagner, Strauss, ça devient compliqué.

La communication
Il faut savoir bien communiquer avec les autres : artistes, metteur en scène, directeur. Là, on est confronté à un enjeu culturel : excellents techniciens, ils manquent peuvent manquent souvent de sensibilité, de couleur, de chaleur dans l’interprétation, une retenue liée à la culture, un univers où l'expressivité n'est pas encouragée.

La dictature du lookisme
On demande beaucoup plus à un chanteur aujourd’hui qu’il y a vingt ans : bien chanter, bien jouer et être agréable à regarder… Le lookisme s’impose désormais dans le recrutement, il faut être physiquement convaincant. La discrimination est cruelle pour tout le monde mais encore plus pour les chanteurs asiatiques qui sont nombreux : à niveau vocal égal, il faut être beau pour faire la différence.

Trop de concurrence
Le marché est saturé. Depuis dix ans, on assiste à une déferlante de chanteurs lyriques coréens, chinois, européens de l’est, de bons chanteurs, alors qu’il y a de moins en moins de productions. Et les salles, il faut les remplir. Pragmatique, il arrive qu'un directeur d’opéra refuse des Asiatiques pour un premier rôle, parce qu’il pense qu’il ne vendra pas assez de places. Pour faire la différence, un chanteur asiatique doit être meilleur que les meilleurs.

Alors ?
Que deviennent tous ces chanteurs lyriques asiatiques une fois leurs formations et récompenses en poche ? Bien sûr, certains arrivent à faire des carrières internationales, mais des destins à la Sumi Jo sont rares.

Beaucoup retournent dans leur pays 
pour chanter et enseigner, ce qui leur permet de vivre de leur voix. En Corée du Sud, par exemple, ils sont professeurs et chantent dans des chorales en soliste parce qu’il y a là une tradition chorale très importante. Et avec l’essor de l’opéra en Corée et en Chine, ils peuvent y jouer des premiers rôles du répertoire occidental.

Ceux choisissent de rester ici
, on peut les retrouver dans les chœurs d’opéra en France (où ils sont de plus en plus présents), dans des troupes en Allemagne ou dans des petites compagnies en Italie où ils sont souvent confinés dans un marché de seconde zone.
En Allemagne, le baryton Seung-Gi Jung évolue avec la troupe de Karlsruhe où il a le premier rôle alors qu’il peine à passer des auditions en France. Plusieurs raisons à cela : le marché allemand est plus ouvert, avec de nombreuses maisons d’opéra qui ont leurs troupes (des chanteurs permanents), parmi lesquels beaucoup de Coréens.

Il reste que les chanteurs asiatiques sont très prisés partout en Europe dans les pièces "exotiques" comme Madame Butterfly ou Turandot, mais il reste alors la problématique des quotas -plus ou moins assumés- pour protéger les chanteurs locaux.

La musique classique a-t-elle un problème avec la diversité ?
Dans un éditorial cinglant, The Guardian a rappelé que les postes à responsabilité dans l’opéra sont en grande majorité détenus par des hommes blancs. Et conclut que dans un monde idéal, les rôles seraient distribués sans distinction qu’on soit un chanteur blanc, noir ou asiatique. Mais nous n’y sommes pas encore. Le recrutement n’est pas daltonien si ce ne sont que des blancs qui obtiennent les rôles.

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