L'orgue est en deuil

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L’organiste Michel Chapuis est décédé à l’âge de 87 ans.
Musicien internationalement reconnu, il a été titulaire de l'orgue du chœur de la cathédrale de Notre-Dame de Paris et de l'orgue de la Chapelle du Château de Versailles.
Ses recherches en musicologie et son action en faveur de la restauration des orgues ont largement contribué au renouveau de l’interprétation du répertoire français dédié à cet instrument.

Né en 1930 à Dole (Jura), Michel Chapuis s’initie à l’orgue auprès de Jeanne Marguillard, organiste de la cathédrale de Besançon, et perfectionne son apprentissage dans la classe de Marcel Dupré au Conservatoire de Paris où il obtient le Premier prix d’interprétation et d’improvisation. Devenu titulaire à la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1954, puis à la Chapelle du Château de Versailles en 1995, il en devient l’Organiste Honoraire en 2010.
Parallèlement à sa carrière de musicien, marquée notamment par ses improvisations et ses interprétations de Bach, Michel Chapuis a mené de nombreuses recherches en organologie. Son travail de musicologue et ses connaissances en facture d’orgue vont l’ériger en véritable figure de la défense de cet instrument et de la redécouverte de son répertoire français.
Avec ses collègues et amis Francis Chapelet, André Isoir, Jean-Albert Villard, Xavier Darasse, pour ne citer que les plus emblématiques, il a provoqué dès les années '50 et dans la continuation de l’esprit de leur maître Édouard Souberbielle, une remise en cause de l’organologie telle qu’elle était pensée et appliquée à la restauration des orgues depuis les années '30 et ce, par des recherches historiques et technologiques d’une remarquable rigueur.
Car Michel Chapuis connaît la facture d’orgue pour l’avoir pratiquée lui-même, ce qui simplifie ou complique ses rapports avec les facteurs d’orgue, mais toujours dans le but de faire avancer la "cause de l’orgue".
Michel Chapuis, certains de ses collègues, quelques facteurs d’orgue (en particulier Philippe Hartmann, Robert Boisseau, Alfred Kern et quelques rares autres dans les années '60) et des musicologues considérés à l'époque comme atypiques tels Jean Fellot et Pierre Hardouin, ou des amateurs éclairés tel Alain Lequeux, sont directement à l’origine du renouveau de la musique française dite "baroque", le travail ayant été effectué dans les autres pays d’Europe le plus souvent par les "cordes" ou par les "chefs" (Nikolaus Harnoncourt,...). Devant l’urgence de sauver certains instruments de tous les risques de restaurations hâtives, ces préoccupations aboutiront à la création le 21 décembre 1967 de l’A.F.S.O.A (Association Française pour la Sauvegarde des Orgues Anciens) qui deviendra le bras armé de cette reconquête.
Parallèlement à ces recherches en matière d’organologie, Michel Chapuis s'intéresse aux traités anciens et a lu attentivement L'interprétation de la musique française (de Lully à la Révolution) d'Eugène Borrel. Pourtant paru en 1934, cet ouvrage était parfaitement ignoré de l'enseignement officiel. Aussi Chapuis a-t-il été l’un des premiers, avec ses collègues déjà cités, à s’intéresser particulièrement à ce qu'on pourrait appeler une sémiologie de la musique française des XVII° et XVIII° siècles : "ornementation, notes inégales, registrations", autant d’éléments qui, malgré les premières approches de décryptage d’Alexandre Guilmant et d’André Pirro, avaient été inexploités ou malmenés, à la manière dont l’était aussi l’organologie par des spécialistes autoproclamés. La question des diapasons et des tempéraments n’a pas non plus échappé à sa sagacité.
Michel Chapuis est à l’origine de nombreuses clefs d’interprétation de la musique ancienne en France. En mettant à profit cette synergie entre la pratique de l’organologie par la facture d’orgue et la fréquentation assidue des bibliothèques, il est devenu en grande partie responsable du renouveau de l’interprétation et de la redécouverte de toute une littérature musicale oubliée, participant très tôt à la genèse puis à l’accélération de cet engouement pour la musique baroque en France telle qu’on la connaît désormais.

La discographie de Michel Chapuis est très importante et ne se limite pas au répertoire français car ses interprétations de Bach et de la musique allemande, ses (plus rares) interprétations d'œuvres romantiquesne sont à revisiter.

Ses talents de pédagogue et sa vaste culture ont fait de Michel Chapuis un professeur recherché par de jeunes musicien(ne)s du monde entier dans les conservatoires où il a œuvré pendant toute sa carrière, mais aussi au cours d’"académies d’orgue" dans l’Europe entière -à l'époque où elles étaient nombreuses et florissantes, et au Japon. Parmi ses élèves, citons Henri-Franck Beaupérin, Yves Castagnet, Sylvain Ciaravolo, Thierry Escaich, François-Henri Houbart, Éric Lebrun, Marina Tchebourkina, Jean-René Louët, Marie-Ange Leurent, Vincent Warnier, Guy Marissal...

Ce que l'on sait moins, c'est que, passionné et défenseur de l'harmonium aussi, Michel Chapuis est Président d'Honneur de la Fédération française des Amis de l'Harmonium (FFAH).

 

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