La Chauve-Souris en français: pourquoi ?

par

Le Grand-Théâtre de Genève propose, pour les fêtes de fin d’année, la reprise de la production léchée de Stephen Lawless pour une Chauve-Souris déjà applaudie sur cette scène en 2008. Il faut dire que le spectacle est somptueux grâce à un décor tournant (conçu par Benoît Dugardyn), fait d’une baie vitrée aux croisillons métalliques, livrant ensuite un gigantesque escalier sous lequel viendra même se nicher le bureau de la prison. Les costumes imaginés par Ingeborg Bernerth sont chatoyants dans leur diversité ; et l’esprit de la fête n’a aucun mal à les imprégner d’une fantaisie de bon aloi. Alors qu’en 2008, l’ouvrage mêlait les passages parlés en français et les airs et ensembles dans l’original allemand, la direction du Grand-Théâtre a opté, cette fois-ci, pour une version totalement française, en arguant que livret est basé sur une pièce d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy intitulée ‘Le Réveillon’. L’enjeu valait-il la chandelle ? Le remaniement de Paul Ferrier datant de 1904 use d’une langue souvent ‘datée’ que les chanteurs d’aujourd’hui ne savent guère restituer, tant leur diction est cotonneuse. Et la direction de Theodor Guschlbauer, qui évite de couvrir les voix, manque de piment rythmique et aseptise une partition époustouflante qui devrait pétiller comme du champagne ! Pour camper Frosch, le gardien de prison, l’on a fait appel à Dimitri, clown suisse ô combien célèbre, dont les gags tombent à plat, même si sa veste exhibe une énorme grenouille (= Frosch). Dans le rôle de Rosalinde, Noëmi Nadelmann, malade, a dû céder la place à Mireille Delunsch, qui, en l’espace de quelques jours, a appris en français un rôle dont les textes parlés sont légion ; sa voix d’aujourd’hui négocie à l’arraché les aigus de la csardas, ce qui n’enlève rien à la qualité de sa prestation qui prendra de l’assurance au fil des représentations. Nicolas Rivenq joue un Eisenstein engoncé dans son sérieux, mais qui peine à trouver une véritable assise dans cette tessiture hybride, tandis que Marc Laho a le timbre rayonnant d’un Alfred séducteur ne se prenant pas trop au sérieux. Teodora Gheorghiu a le charme frêle de la soubrette à l’aigu léger et Marie-Claude Chappuis appuie ses graves pour donner crédibilité à son Orlofsky fêtard. Marion Jacquemet donne consistance au rôle sacrifié d’Ida, quand Dominique Côté, René Schirrer et Fabrice Farina convainquent dans leurs incarnations de Dr Falke, Frank et Dr Blind. En résumé, un bon spectacle de fin d’année qui doit trouver encore ses marques.
Paul-André Demierre
Genève, Grand-Théâtre de Genève, le 13 décembre 2013)

Les commentaires sont clos.