La Flûte enchantée selon Maurice Béjart

par

© francois-paolini

Un passage surélevé avec escaliers latéraux, une étoile au sol avec un homme en noir couché bras et jambes en croix, une hydre comme un dragon chinois s’attaquant à un égaré, tels sont les premiers clichés qui émanent de La Flûte enchantée dans la réalisation chorégraphique que Maurice Béjart avait présentée une première fois en mars 1981 avec le Ballet du XXe siècle au Cirque Royal de Bruxelles.

A ce propos, il écrivait alors : « Cela peut sembler une étrange entreprise que celle de faire danser un opéra dans son intégralité, mais d’une part (et je l’ai souvent déjà expérimenté) la voix humaine est le plus merveilleux support pour la danse, d’autre part le geste chorégraphique transcende le réalisme et prolonge la pensée subtile de la phrase musicale. En montant La Flûte enchantée, je n’ai pas cherché à glisser dans une œuvre parfaite la moindre attention personnelle, ou message surajouté, mais à écouter scrupuleusement (et amoureusement) la partition, lire le livret et traduire».
Si le Béjart Ballet Lausanne avait déjà proposé une reprise en 2003 et 2004 à la Patinoire de Malley, c’est aujourd’hui Gil Roman qui remet à l’honneur la production, lui qui avait été autrefois l’un des trois Garçons, puis le remplaçant et l’interprète des rôles de Papageno et du Sprecher. Il confie à Henri Davila la reconstitution des costumes et décors imaginés par Alan Burrett ; et sous de magnifiques éclairages dus à Dominique Roman, le spectacle donne une impression de fraîcheur inaltérée par le temps. S’appuyant sur la version discographique de Karl Böhm enregistrée à Berlin en juin 1964 avec les légendaires Wunderlich, Lear, Crass, Peters et Fischer-Dieskau pour têtes d’affiche, la partition est donnée intégralement tout en supprimant les dialogues parlés. En lieu et place intervient le Sprecher (l’Orateur) de Mattia Galiotto qui résume l’action : est- ce nécessaire ? Enchaîner les numéros musicaux ne suffirait-il pas  à cet effet ?
Car, avec le regard d’un enfant, nous plongeons dans un monde féérique où un Tamino vêtu d’un pantalon rouge (campé par le magnifique danseur Jiayong Sun) exhibe l’agilité d’un jeune chant bondissant face au Papagano roublard du Brésilien Wictor Hugo Pedroso avec son jean troué et sa cage à oiseau sur le dos. Les trois enfants s’assimilent aux clowns enfarinés, alors que le venimeux Monostatos de Federico Matetich saute à la corde avec ses esclaves. La Pamina de Kathleen Thielhelm revêt la candeur de l’innocence qui, confrontée à la séparation d’avec son soupirant, laisse affleurer de douloureuses crispations de tout son être, tandis que la voix d’Evelyn Lear égrène le sublime « Ach ich fühl’s ». L’univers nocturne et ses connotations malfaisantes est d’abord annoncé par les trois Dames, starlettes pimpantes qui feignent le vrai pour prêcher le faux en ouvrant la voie à la Reine de Svetlana Siplatova qui joue d’abord la distance anguleuse avant d’adopter la posture du crabe pour hurler vengeance. Par opposition, le règne du Soleil est placé sous les effigies d’Osiris et de la déesse Isis voilée de bleu. Le rituel de l’initiation maçonnique est encadré par les trois Prêtres, hommes-troncs piliers du temple de la Sagesse : le Sprecher en dévoilera les arcanes avant de laisser apparaître en un habit de lumière le Sarastro de Julien Favreau, hiératique comme un bouddha mais humanisant son approche par la générosité du geste envers un couple en quête de pérennité. A l’issue du spectacle, le tonnerre d’applaudissements dont le BBL est coutumier !
Paul-André Demierre
Lausanne, Théâtre de Beaulieu, le 15 juin 2017

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