La "Saudade" russe lui va si bien !

par
Leonskaja

"Saudade"
Pyotr Ilyich TCHAIKOVSKY
(1840 - 1893)
Sonate pour piano op. 37, 'Grande Sonate' en Sol Majeur
Dmitry CHOSTAKOVITCH
(1906 - 1975)
Sonate pour piano n°2 op. 61 en si mineur
Sergey RACHMANINOV
(1873 - 1943)
Morceaux de fantaisie op. 3 n°2 (Prélude en do dièse mineur) et n°1 (Elégie) - Prélude op. 32 n°12 en sol dièse mineur - Préludes op. 23 n° 6 en Mi bémol Majeur
Elisabeth Leonskaja (piano)
2017 - DDD - Textes de présentation en anglais, allemand, français, espagnol - eaSonus 29330

Paradoxalement, on entend peu Elisabeth Leonskaja dans le répertoire russe. Au début des années 1970, peu après ses prestations remarquées au Concours Reine Elisabeth, elle enregistrait pour l'emblématique label Melodiya la Sonate pour violon et piano de Chostakovitch en compagnie d'Oleg Kagan; en 1988, installée à Vienne, elle enregistre Moussorgsky (les Tableaux d'une exposition), Scriabine (la 2e Sonate), et les deux sonates que nous retrouvons ici, mûries, burinées par la vie.
"Saudade". On s'interroge. Ce terme qui ne trouve pas de traduction; on y assimile la "Sehnsucht" germanique... et pourtant, on n'y retrouve pas tout à fait la "saudade" que l'on ne peut que ressentir -et encore... les Portugais vous diront qu'eux seuls peuvent la vivre ! Le texte du livret nous parle d'un sentiment proche de la mélancolie stimulé par la distance temporelle ou spatiale et qui implique le désir de résoudre cette distance.
On revient alors au CD et son titre "Saudade" derrière lequel une superbe photo de la "Prêtresse des Arts", titre qu'elle a reçu en 2015 en Géorgie, aux côtés de ceux de "Membre d'honneur du Konzerthaus de Vienne" et de la "Croix Fédérale du Mérite de première classe", la plus importante distinction d'Autriche pour sa contribution à la vie culturelle du pays.
La 2e Sonate de Tchaikovsky et la 2e Sonate de Chostakovitch ont accompagné le parcours pianistique d'Elisabeth Leonskaja mais aussi celui de Sviatoslav Richter avec qui elle a beaucoup joué et qui reste son mentor. On s'approche donc de la "Saudade".
On entend peu la 2e Sonate de Tchaikovsky appelée à juste titre "Grande Sonate" quant à sa durée de plus de trente minutes. Elle est assez peu enregistrée (voir l'article de Jean-Marie André à propos de cette sonate enregistrée il y a peu par Nicolai Lugansky) et encore moins jouée en concert. Outre sa longueur, elle est d'une redoutable difficulté technique et ne souffre aucun relâchement de l'interprète. Elisabeth Leonskaja délivre en une grande arche les quatre mouvements de ce piano orchestral -que l'on pourrait comparer aux Etudes symphoniques de Schumann- ses bonds fantasques, ses rythmes pointés ou équivoques, cette oeuvre contemporaine du Concerto pour violon et encadrée par Eugen Onegin et la 4e Symphonie composée peu après le douloureux épisode de son mariage raté. L'oeuvre est toutefois assertive dans ses grands accords forte entrecoupés de chauds épisodes lyriques.
La "Saudade", on la retrouve aussi dans la 2e Sonate de Chostakovitch composée dix-sept ans après son premier essai dans le genre. Composée en 1943, entre la Symphonie "Leningrad" et la 8e Symphonie, elle est beaucoup plus simple que la 1ère du point de vue de l'écriture, mais beaucoup plus intérieure. La date de sa composition nous fait inévitablement penser à une "sonate de guerre" comme l'étaient les 6e, 7e et 8e Symphonies de Prokofiev dont elle partage l'esprit. En trois mouvements, elle nous propose le compositeur au sein du tumulte en son pays et dans le monde et gagné d'un résignation fataliste. Le Largo central cache un rythme de valse lente d'un extrême dépouillement invitant à la méditation mélancolique et le Moderato qui le suit est une suite de variations sur un long thème monodique joué à la main droite seule avec des accents de folklore, truffée de chromatismes qui revient tout au long du mouvement comme un obsédant sujet de fugue.
Comment ressentir la "Saudade" sans écouter Rachmaninov dont deux Préludes et deux Morceaux de Fantaisie clôturent le parcours. Un Rachmaninov avec "juste ce qu'il faut" d'expression émotionnelle traduite par la chaleur du son.
Un grand moment de musique.
Bernadette Beyne

Son 10 - Livret 8 - Répertoire  10 - Interprétation 10

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