La Scala redécouvre ALI-BABA de Cherubini

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Depuis plusieurs années, la Scala de Milan élabore un Progetto Accademia permettant aux élèves de l’Ecole de Chant (dirigés actuellement par Luciana D’Intino) de dialoguer avec les Chœur et Orchestre de l’Académie pour présenter un opéra durant le mois de septembre. Comme l’ouvrage choisi pour 2018 est la dernière création lyrique de Luigi Cherubini, Ali-Baba ou Les quarante voleurs, interviennent aussi les jeunes danseurs de l’Ecole de Ballet.

Entre la Lodoïska de 1791 et l’Eliza de 1794, deux tragédies lyriques qui n’avaient remporté qu’un pâle succès, le compositeur dépité avait fait volte-face en concevant Koukourgi, un opéra-comique en trois actes d’inspiration chinoise, qu’il laissa inachevé. Trente ans plus tard, il décida d’en utiliser la musique pour l’adapter à un nouveau livret de Joseph Duveyrier dit Mélesville et Eugène Scribe tiré d’une fable persane, L’Histoire d’Ali-Baba et des quarante voleurs exterminés par une esclave, qu’Antoine Galland avait ajoutée à sa traduction des Mille et Une Nuits. La trame en est la suivante : Ali-Baba devient un marchand cupide, faisant un commerce illégal de café et voulant marier sa fille au chef des douanes, Aboul-Hassan ; mais Délia aime le pauvre Nadir qui découvre par hasard l’antre des voleurs contenant un fabuleux trésor. Ceux-ci se cacheront dans les sacs à café amassés dans la demeure d’Ali, sacs qui seront brûlés par les gardiens du trafic grâce à un subterfuge de l’esclave Morgiane. Devenu riche à millions, Nadir pourra épouser Délia avec le consentement d’Ali-Baba, couvert d’or.

La création du 22 juillet 1833 à l’Académie Royale de Musique fut fastueuse. L’affiche incluait Nicolas-Prosper Levasseur, Adolphe Nourrit, Laure Damoreau-Cinti et Cornélie Falcon sous la direction de François-Antoine Habeneck, dans une scénographie de Pierre-Luc-Charles Cicéri et des toiles peintes par René Philastre et Charles-Antoine Cambon. Mais l’ouvrage n’eut que onze représentations, avant d’être monté à Dresde, Berlin et Kassel jusqu’à 1836. Puis ce fut l’oubli total pendant plus de cent-vingt ans ; et c’est la Scala qui en assura la création italienne le 11 juin 1963 en réunissant Wladimiro Ganzarolli, Alfredo Kraus, Teresa Stich Randall, Orianna Santunione et Paolo Montarsolo sous la baguette de Nino Sanzogno.

Actuellement, la nouvelle production est confiée à Liliana Cavani, tant admirée ici depuis sa mise en scène de 1990 pour La Traviata. Depuis plusieurs mois, elle a profité de la disponibilité des jeunes artistes pour échafauder un spectacle vivace et coloré. Dans de beaux décors conçus par Leila Fteita et des costumes bigarrés dus à Irene Monti sous les éclairages de Marco Filibeck, l’action est transposée à notre époque dans une sorte de Marrakech qui sacrifie tout à l’argent. Durant l’Ouverture brillante où pointe un brin d’ironie, le rideau se lève sur la salle de lecture d’une bibliothèque où deux adolescents brandissent des pancartes pour expliquer ce qu’ils lisent : Nadir a opté pour l’histoire d’Ali-Baba ; et il enfourche sa moto pour se retrouver devant un double mur de marbre blanc. Le fameux « Sésame, ouvre-toi ! » formulé par une troupe de loubards lui fera découvrir une cave à plusieurs arches où sont enfouies les richesses. La demeure d’Ali-Baba sera ensuite évoquée par sa terrasse de marbre donnant sur le cœur de la ville, alors que le palais d’Erzerum ne sera qu’une succession d’arcades bleutées, dignes d’une mosquée. Dans une chorégraphie finement travaillée d’Emanuela Tagliavia, les jeunes danseurs animent deux des tableaux en virevoltant comme des derviches et en se jetant des pastèques, alors que leurs compagnes masquent leurs rires sous les voiles. Et la baguette de Paolo Carignani sait vitaliser l’ensemble avec une énergie débordante, ce qui ne l’empêche pas de faire miroiter l’orchestration alors que paraît la caravane de Nadir ou qu’une flûte s’apitoie sur les confidences de Delia à sa suivante ou même qu’une once de mystère recouvre le finale sans orchestre du troisième acte.

Sur scène se succèdent deux distributions pour les six premiers rôles. Seule la basse russe Alexander Roslavets a déjà à son actif, depuis 2015, une carrière au Bolchoi et à Hambourg ; son Ali-Baba a l’assurance sournoise du négociant machiavélique voulant parvenir à ses fins. Les autres solistes proviennent tous de l’Académie de perfectionnement de la Scala : ainsi, le ténor Riccardo Della Sciucca prête à Nadir un grain corsé qui s’irisera de nuances au fil des actes, tandis que Francesca Manzo usera de ses moyens de soprano lyrique pour personnifier une Délia décidée à sauver son amour légitime pour son soupirant. Alice Quintavalla campe une Morgiane tout aussi déterminée à faire basculer l’intrigue en s’appuyant sur l’intelligence de son phrasé. Tout d’une pièce, l’Aboul-Hassan d’Eugenio Di Lieto fait valoir son art du legato, alors que Ramiro Maturana confère à Phaor la réserve d’un majordome. Impayable, le trio des brigands Ours-Kan, Tamar et Calaf constitué par Maharram Huseynov, Lasha Sesitashvili et Chuan Wang tandis que le Chœur préparé par Alberto Malazzi est de grande qualité. Un succès mérité !

Paul-André Demierre

Milano, Teatro alla Scala, 19 septembre 2018

Crédits photographiques : Brescia/Amisano Teatro alla Scala

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