La Trahison d' Arthus

par

« Le Roi Arthus » d'Ernest Chausson à Strasbourg
Entre deux affrontements tragiques avec l'Allemagne -1870 et 1914-, Chausson travaille durement à l'écriture du livret et de la partition de son unique opéra, Le roi Arthus et cela, durant presque une décennie (1886-1895) ! Il est remarquable que la fascination des intellectuels français pour Wagner ait suscité une réaction émancipatrice si féconde chez les jeunes compositeurs. En surgirent maints chefs d’œuvres tels « Arthus » bien sûr, « Pelléas et Mélisande » de Debussy, « Ariane et Barbe bleue » de Dukas ou encore « Pénélope » de Fauré. En se tournant vers les légendes médiévales de Bretagne, il s'agissait pour le compositeur du « Poème de l'Amour et de la Mer » de trouver une source d'inspiration qui fut un antidote aux sortilèges d'Outre-Rhin mais également le miroir d'une personnalité tourmentée, secrète et passionnément éperdue d'idéal. Il suffit de consulter les écrits, la correspondance de Chausson et les travaux de son biographe, Jean Gallois, pour mesurer combien cette pensée philosophique et quasi religieuse de la plus haute exigence imprègne texte et musique.
De tels éléments, joints à la célébration du Centenaire de la Grande Guerre, ne rendaient pas totalement absurde la transposition de la lutte des Chevaliers Celtes contre les Germains, en Guerre de 1914-18. Mais la réalisation - est-ce par ce qu'elle est due à des descendants des Angles et des Saxons (Keith Warner et David Fielding) plus familiers du « Ring » que de l'esprit français ?- démontre cruellement le contraire. La poésie, la légèreté, l'élégance, le panache sont totalement absents, remplacés par un bazar de pacotille inexact et hideux. Comment la légende sacrée, d'un vieux roi du VI ème siècle mis en poésie au XIII ème (Chrestien de Troyes) peut-elle être traitée comme une banale histoire d'adultère dans un décor d'opérette frelaté ? Que viennent faire ces artificiers qui désarment un obus à l'acte II ? Et ces infirmières en chaussettes, la cornette de travers, faisant fonction de divinités célestes qui viennent chercher Arthus pour le déposer sur un brancard de campagne ? Pourtant la musique est si belle, ample, colorée, et tout simplement merveilleuse dans ce chœur de femmes  en particulier !
Le canadien Jacques Lacombe à la tête de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse et les Chœurs de l'ONR ont sauvé la soirée. Les chanteurs aussi à des degrés divers. Andrew Richards (Lancelot) guindé et monochrome dans son chant et son jeu, peine à tenir la distance. Mais Arthus (Andrew Schroeder) « meurt » avec beaucoup de musicalité tandis que Mordred ( Bernard Imbert), Lyonnel (Christophe Mortagne), Allan (Arnaud Richard), Merlin (superbe Nicolas Cavalier) jusqu'au petit rôle du laboureur fort bien chanté par le jeune Jéremy Duffau, tous défendaient la partition au meilleur niveau. Au même titre qu' Elisabete Matos que certains dénigraient à plaisir et qui, avec une vaillance stupéfiante, un sens du phrasé et une stature d'amoureuse passionnée a incarné ce personnage fou d'orgueil, bravant des costumes calamiteux ( au IIIème acte, il ne lui manque que les fixe-chaussettes) et -pire!- une perruque rousse, alors que le livret parle de « cheveux sombres et bleus comme la nuit », dont le monticule de nattes lui sert de corde pour se pendre ! Comment reprocher certaines stridences ou le manque d'homogénéité vocale dans de telles conditions ?
On attend avec d'autant plus d'intérêt l'entrée d'Arthus au répertoire de l'Opéra de Paris, lors de la prochaine saison. Et, qui sait? Il peut arriver que les metteurs en scène comprennent la poésie et lisent les didascalies...
Bénédicte Palaux Simonnet
Strasbourg, Opéra National du Rhin le 25 mars 2014

A noter : l'intéressante exposition consacrée à Chausson fort bien présentée dans le Foyer.

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