« Le Concours des concours » !

par

Yao-Yu Wu © Yves Petit

Le jury du 53e Concours international de jeunes chefs d'orchestre de Besançon a décerné son prix au taïwanais Yao-Yu Wu (24 ans). Choix confirmé respectivement par le prix «coup de cœur du public» et le prix «coup de cœur» de l'orchestre: unanimité de palmarès remarquable!
D'autant que le plus ancien concours de direction d'orchestre a connu cette année un record d'inscriptions- 296 candidats venus des cinq continents. Doté d'un montant de 12000 euros et surtout d'une série d'engagements avec nombre de prestigieux orchestres de France, Belgique, Allemagne, Pologne, Japon, Etats-Unis, Malaisie... cette «audition» mondiale constitue surtout un accélérateur de carrière. Le jury* présidé par Gert Albrecht qui fut lui-même lauréat comme Osawa, Plasson, Cobos, Cambreling, Yutaka Sado, Lionel Bringuier ou Kazuki Yamada parmi bien d'autres... n'avait pas la tâche facile! Car des trois finalistes, le hongrois Huba Hollòkoï (32 ans) et l'allemand Kiril Stankow (30 ans) avaient, eux aussi, fait grande impression au fur et à mesure des épreuves éliminatoires, par leur mental et leur aura musicale. Quant à Yao-Yu Wu, on remarquait dès la première séance de travail sur le premier mouvement de la 4 ème Symphonie de Beethoven avec l'Orchestre Victor Hugo Franche-Comté, sa concentration, sa gestuelle ample, élégante qui enlaçait, caressait, sculptait le flux musical, son aptitude à obtenir une dynamique des contrastes et des nuances sans négliger poésie et couleurs -du lever de soleil par exemple. Le quart de finale face à l'Orchestre National de Lorraine, avec le troisième mouvement (Tentation de Saint Antoine) de la Symphonie d'Hindemith "Mathis le peintre" confirmait sa capacité à concevoir et imposer une vision cohérente et à susciter l'écoute respective des pupitres ajustant habilement les nuances (cordes par rapport au «piano» des hautbois). La clarté de sa gestuelle, sa noblesse, sa gentillesse aussi, créait un excellent rapport à l'orchestre qu'on surprenait «aux aguets» lorsque la cloche aigrelette du jury mit fin à la séance de travail. Toutes qualités qui devaient se déployer en finale avec le 1er mouvement du Concerto pour violon et orchestre en ré majeur opus 70 de Brahms, la création de "Musubi II" commande du Festival à la compositrice japonaise Misato Mochizuchi en résidence et surtout la suite N°2 de "L'Oiseau de feu" d' Igor Stravinsky pour laquelle il avouait une prédilection. Notons sa formation accomplie à l'Université Nationale des Arts de Taïpei, (à l'exception d'une master-class de Weimar avec Nicolas Pasquet en 2012) qui en dit long sur l'excellence des cursus taïwanais. En effet, sur 20 candidats retenus pour la 1/8 de finale, on comptait 3 Taïwanais dont Mesdames Hsien-Wen Tseng et Kai-Hsi Fan qui accédaient l'une en ¼ de finale et l'autre en ½ finale.
Comme souvent, quelques personnalités originales sont restées au bord du chemin. Ainsi du tout jeune allemand de 15 ans Nicolò Umberto Foron, du spectaculaire espagnol Antonio Lajara et surtout du flamboyant génie iranien Sihrab Kashef (31 ans) qui eut la malchance de diriger Hindemith pour la 10 ème fois de la journée ...avec une énergie quelque peu désorganisée.
Autre fait remarquable: les très jeunes mélomanes scolaires qui remplissaient les gradins arrondis du Kursaal étaient muets de fascination. Et on les comprend car, même si comme le soutient Gerd Albrecht il est impossible de juger le travail d'un chef d'orchestre, il est permis de l'admirer.
Existe-t-il un art dont l'exercice expose la personne à ce point? Dès la sortie de coulisses, le corps «parle». Puis, l'intensité du regard, la posture, l'apparence depuis la pointe des cheveux jusqu'aux chaussures (oh, malheureuse candidate chinoise perchée sur des stilettos!), la gestuelle, les pulsations de la battue (arides saccades du candidat polonais) tout est capté. Même la respiration et les inflexions de la voix sont transmises par le micro individuel. Les moindres expressions du visage, de dos comme de face, sont saisies par l'écran qui renvoie l'image à la salle. Tout en lui se fait médium entre la fidélité au compositeur, la respiration du public, la mise en tension de l'orchestre. Tout en lui cherche à réaliser cet idéal contradictoire de maîtrise et d'expansion communicative. Et chaque battement de cœur de la salle accompagne cet effort mystérieux.
Alors, face au même orchestre (dont le mérite doit être souligné!), face à la même partition, c'est un émerveillement renouvelé d'assister à l'expression d'une organisation mentale, un tempérament, un charisme, chaque fois différent, chaque fois original.
Que ces jeunes musiciens, impressionnants d'humilité, aient longtemps la joie de « jouer de l'orchestre » comme le disait Berlioz !

Bénédicte Palaux Simonnet
Besançon, du 16 au 21 septembre 2013

*Jury :Michel Mercier, Christian Merlin, Misato Mochizuchi, Jorman Panula, Jean-François Verdier et Louwrens Langevoort

Les commentaires sont clos.