Le Festival de Salzbourg avec Mozart et Rossini

par

Musikalische Leitung:Constantinos Carydis
Regie:Lydia Steier
Bühne :Katharina Schlipf
Kostüme: Ursula Kudrna

Cette année les Salzburger Festspiele présentaient six nouvelles productions d’opéra : Die Zauberflöte (Mozart), Salome (R. Strauss), Pique Dame (Tschaikovsky), L’Italiana in Algeri (Rossini), L’Incoronazione di Poppea (Monteverdi) et The Bassarids (Henze), deux opéras en version concert : Der Prozess (von Einem) et Les Pêcheurs de Perles (Bizet) et un pour les enfants, une adaptation de Die Zauberflöte.

Les dernières représentations de Die Zauberflöte dans le festival de la ville de Mozart dataient de 2012, dans la mise en scène de Jens-Daniel Herzog sous la direction de Nikolaus Harnoncourt. Une productionqui qui ne fut à l’affiche qu’une seule saison, contrairement à d’autres, avec un record absolu pour la splendide -et déjà légendaire- mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle donnée chaque année de 1978 à 1986 sous la baguette de James Levine. C’est Ponnelle qui, de l’aveu de la jeune Américaine Lydia Steiger, l’a inspirée ici, bien qu’elle ait choisi une tout autre approche : actualiser un peu l’histoire et présenter un miroir au public sans l’effrayer. Dès l’ouverture, elle nous mène dans une maison viennoise bourgeoise de 1913 où un grand-père lit un conte à ses trois petits-fils avant la nuit : Die Zauberflöte. La plupart des personnages y sont des créatures de fantaisie inspirées par la famille et les domestiques : la mère (la Reine de la Nuit), le marchand de volailles qui rend visite à la cuisinière (Papageno), les servantes (les trois dames) ; et les petits-fils jouent les Drei Knaben, très actifs ici, qui vont guider Tamino et Papageno. On comprend moins la métamorphose de l’univers de Sarastro en cirque Barnum avec ses cabinets de curiosités, sauf à vouloir le rendre plus universellement humain, moins misogyne, et montrer que les êtres humains méritent tous le même respect. Un extrait du Merchant of Venice de Shakespeare est d’ailleurs inséré -paraphrasé- dans les dialogues parlés. Dialogues retravaillés et abrégés par Ina Karr et Lydia Steier qui en ont retiré les exposés philosophiques et les références maçonniques. Disparaissent dès lors les contrastes entre Tamino, noble et volontaire, et Papageno, le bon vivant. Tout comme le Ach, ich fühls de Pamina ou Der Hölle Rache de la Reine de la Nuit perdent de leur pertinence. Du spectacle, par contre, il y en a en abondance : décors mouvants, acrobates, projections vidéo Pas non plus d’épreuves de l’eau ni du feu pour Tamino et Pamina mais des images d’horreurs et de misère de la Première Guerre Mondiale. Et c’est finalement le grand-père (l’acteur autrichien Klaus Maria Brandauer) qui conclut l’histoire par Die Strahlen der Sonne vertreiben die Nacht et nous revenons dans la chambre des trois garçons que le grand-père borde tendrement. Fin de l’histoire. Mais les personnages se sont perdus dans une mise en scène débordée trop agitée (décor Katharina Schlipf, costumes Ursula Kudrna, lumières Olaf Freese, video fett-Film) mettant en péril la partie musicale.

A la tête du Wiener Philharmoniker, le chef Constantinos Carydis a pourtant offert une prestation vivante dans des tempi parfois audacieux et un bon soutien des chanteurs. Mais choisir Matthias Goerne pour Sarastro est une faute de casting : excellent chanteur, il se débat avec cette partition beaucoup trop grave pour sa voix et son personnage barnumesque manque de relief et d’autorité. Mauro Peter fait un Tamino passable qui peine dans les aigus et Christiane Karg offre sa voix cristalline à une Pamina-poupée Albina Shagimuratova (Reine de la Nuit) chante toutes les notes mais manque de puissance vocale dramatique. Les trois Dames sont bien campées par notre compatriote Ilse Eerens (bientôt Pamina à la Monnaie), Paula Murrihy et Geneviève King. Adam Plachetka, Papageno négligé par la mise en scène, chante bien. Maria Nazarova (Papagena) tire le maximum de ses trop brèves interventions (arrangements du livret) et Michael Porter fait un Monostatos insignifiant. Signalons aussi les bonnes prestations des petits rôles et des chœurs du Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor.
Et la jeune soprano belge Emma Posman a sauvé la représentation du 4 août en acceptant de remplacer Albina Shagimuratova (la Reine de la Nuit), malade, avec juste alors quelques heures pour se préparer et elle y a été très applaudie.

Beaucoup de va-et-vient aussi, mais mieux réglé, dans l’esprit de l’œuvre et surtout sans risque musical pour L’Italiana in Algeri, la production du Festival de Pentecôte (direction artistique Cecilia Bartoli) qui était reprise l’été. Cest le duo de régisseurs belgo-français qui est à l’origine de cette action haute en couleur, avancée dans le temps, dans un décor oriental de Christian Fenouillat, assez décrépit et sans orientalisme de carte postale (sauf un chameau assez pittoresque !), des costumes d’Agostino Cavalca, des lumières de Chrisitophe Forey et Etienne Guiol à la vidéo. La mise en scène pleine de gags et de clins d’yeux offre une action (parfois trop) étourdissante, soutenue par une distribution bien engagée au bénéfice d’un public amusé et enchanté. Cecilia Bartoli y est Isabella, la belle Italienne qui vient chercher son bien-aimé Lindoro à Alger règne en seigneur et maître Mustafa qui veut se débarrasser de sa femme. Il pense avoir trouvé en Isabella une proie facile mais il se trompe : dégourdie et décidée, Isabella, le manipulera et repartira en Italie avec Lindoro. Cecilia Bartoli y est comme un poisson dans l’eau, fraîche et séduisante dans sa robe estivale fleurie ; elle prend tout de suite les affaires en main et séduit, comme toujours, par sa voix aux belles couleurs et ses coloratures virtuoses. Dans la cavatina Per lui che adoro, elle enchante et fait rêver avec son legato incomparable et un son divin. Son Lindoro bien aimé (sandales et longs cheveux) dispose de la voix souple, légère mais aussi un peu sèche du ténor Edgardo Rocha, chanteur virtuose et interprète convaincant. Ildar Abdrazakov incarne Mustafa, bel homme bien qu’un peu ventru, convaincu qu’il est irrésistible et qu’il séduira Isabella sans problème. On voit bien qu’il s’amuse beaucoup dans ce rôle comique auquel il confère maintes couleurs grâce à sa belle voix de basse chaude et sonore et à sa virtuosité vocale. Alessandro Corbelli (Taddeo) est toujours un des meilleurs interprètes de Rossini tant sur le plan vocal que scénique. Rebecca Olivera offre son soprano frais à Elvira, l’épouse malheureuse de Mustafa. Bonnes prestations aussi de Rosa Bove (Zulma), José Coca Loza (Haly) et du Philharmonia Chor Wien. Dans la fosse, l’Ensemble Matheus dirigé par Jean-Christophe Spinosi n’est pas le choix idéal pour un son rossinien. Même si les interventions des instruments à vent sont généralement belles et souvent surprenantes et les accents dynamiques inattendus et fascinants, on attendait un son plus rond et plus musclé, moins proche du style musica antiqua. Ce qui ne signifie pas que Spinosi et ses musiciens ont manqué de l’élan et de la fraîcheur nécessaires au spectacle.

Erna Metdepenninghen

Salzbourg, les 7 et 8 août 2018

Crédits photographiques : Ruth Walz / Monika Rittershaus

 

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