Le mariage intime de Cav and Pag

par

Elena Zilio (Mamma) et Lucia Eva Maria Santozza Westbroeck © ROH Catherine Ashmore

Cavalleria Rusticana & Pagliacci
« Cav and Pag », c’est ainsi que Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni et Pagliacci de Ruggero Leoncavallo sont souvent cités en Anglais. On a, en effet, l’habitude de représenter ces deux oeuvres en une seule soirée d’opéra. Cavalleria (Rome 1890) et Pagliacci (Milan 1892) durent chacun environ 80 minutes et sont tous deux des opéras du « verismo » italien. Dans la nouvelle production de Cav/Pag (la première du Royal Opera depuis 1980 et une coproduction avec la Monnaie de Bruxelles), le metteur en scène Damiano Michieletto a encore noué un lien plus étroit entre les deux opéras puisqu’il introduit des personnages de Pagliacci dans Cavalleria et vice versa. Les actions ne se jouent plus en Sicile et Calabre à la fin de 19e siècle mais dans une petite ville italienne vers 1950-60 (costumes Carla Teti). Mamma Lucia est la patronne d’une boulangerie où travaille Silvio qui (pendant l’intermède de Cavalleria) rencontre Nedda qui vient faire de la publicité pour le spectacle de la troupe de son mari Canio. Pendant l’intermède de Pagliacci, on retrouve Santuzza en compagnie d’un prêtre et Mamma Lucia. Une fois de plus Damiano Michieletto a cru bon d’ajouter aux livrets originaux de nouveaux éléments qui sont la plupart du temps inutiles, dérangeants, sans rendre l’action plus réaliste ou convaincante, comme tout le va-et-vient dans la boulangerie. De plus, le décor de Paolo Fantin se contente tourner constamment pour faire apparaître différents lieux d’actions. Ingénieux et pratique, il sert autant Cavalleria que Pagliacci en fonction de l’interprétation de Michieletto, mais tout ce mouvement est finalement irritant et peu favorable à la tension dramatique qu’Antonio Pappano et les chanteurs s’efforcent de créer.
Dommage ! Car le directeur musical et l’orchestre du Royal Opera font plus que rendre justice aux partitions. On sent que Pappano aime cette musique souvent maltraitée voire méprisée, qu’il donne toute sa force expressive et dramatique, ses nuances et ses détails orchestraux avec des bois subtils et un beau lyrisme. Deux chanteurs se produisaient dans les deux opéras : le ténor letton Aleksandrs Antonenko et le baryton grec Dimitri Platanias. Antonenko donne du tempérament scénique aux personnages de Turiddu et Canio qu’il chante de sa voix de métal solide et brillant qui pourrait offrir plus de nuances. Platanias au physique trapu campait un Alfio vocalement robuste et violent et un Tonio frustré et perfide. La soprano néerlandaise Eva-Maria Westbroek donnait à sa Santuzza émouvante sa voix ample et vibrante et l’Italienne Carmen Giannattasio présentait une Nedda aguichante et oppressée au soprano assez dur. Martina Belli fait une Lola surtout scéniquement séduisante et Elena Zilio une Mamma Lucia très italienne, vocalement fatiguée et scéniquement trop dramatique. Dionysios Sourbis, boulanger dans Cavalleria se meut en Silvio assez anodin dans Pagliacci et Benjamin Hulett fait un bon Beppe. Les chœurs, malheureusement, manquent de cohésion.
Erna Metdepenninghen
Londres, Covent Garden, le 21 décembre 2015

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