Le nouveau Stravinsky de Sir Simon

par

Igor STRAVINSKY
(1882-1971)
Le Sacre du Printemps (révision de 1947)-Symphonie pour instruments à vent-Apollon Musagète (révision de 1947)

Orchestre Philharmonique de Berlin, dir.: Simon RATTLE
2007 à 2012-DDD-75'36-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Emi 7 23611 2
Curieux destin que celui du Sacre du Printemps, dont on fête cette année le 100ème anniversaire de la création. Si décrié à la première, même si l'on sait qu'une grosse partie du scandale tenait davantage à la chorégraphie révolutionnaire de Nijinski qu'à la musique, sulfureuse elle aussi, de Stravinsky, il apparaît aujourd'hui comme l'une des oeuvres les plus populaires du répertoire. Populaire à un tel point d'ailleurs que Decca n'a pas hésité, récemment, à en rassembler près de 40 versions en un vaste coffret de 20 disques, tandis que Sony reprenait la même idée mais plus modestement, avec dix versions « seulement ». La discographie de cette page est en effet surabondante. Et pourtant, la proposition que voici est probablement inédite. On avait eu des Sacres sanguins, sauvages ou plus civilisés, près de leurs racines ou au contraire « mondialisés », propres ou débridés. Mais on n'avait pas encore eu la version cocoon aux coussins confortables et moelleux. C'est chose faite avec le nouvel essai de Simon Rattle qui, le moins que l'on puisse dire, ne renouvelle pas sa réussite de 1987 à la tête du City of Birmingham. On est frappés cette fois par le confort d'écoute, le « soin » tout particulier du chef à gommer autant que possible toutes les aspérités afin de proposer une lecture opulente, confortable, aux sonorités toujours flatteuses, presque straussiennes. Soit, pourquoi pas? Mais le Philharmonique de Berlin était-il l'orchestre idéal pour cela? On sait que les Philharmoniker sont des virtuoses inégalables mais également que leur sonorité d'ensemble offre souvent une pâte trop épaisse. Pour jouer la carte de l'opulence, il aurait fallu choisir un orchestre soucieux de conserver une certaine légèreté, une certaine grâce. Rien de tel ici: tout est lourd et ne se dégage qu'à grand-peine de sa gangue. Où sont donc passées les interruptions inattendues, le discours sans cesse bousculé par l'arrivée d'un nouvel intervenant? Ici, chacun parle à son tour, comme on le ferait en bonne société, en attendant gentiment l'autorisation de prendre la parole. A aucun moment le chef et ses musiciens ne tentent de créer une surprise, un suspense, un quelconque sentiment d'urgence. Aucune intervention ne semble surgir de manière spontanée; au contraire, chacun joue sa partition avec la calme certitude d'une maîtrise totale, parfaitement contrôlée, très loin de toute spontanéité. Et subitement, on se rend compte que, privée de cette spontanéité, justement, l'oeuvre perd une très grande partie de son attrait et, pour ainsi dire, sa raison d'être. La fin est particulièrement éprouvante par sa saturation sonore particulièrement indigeste, vidée de ces fulgurances que l'on devrait pourtant y entendre. Et les derniers accords semblent s'écraser sur le sol comme l'un de ces dinosaures démesurés que Walt Disney faisait évoluer, sur cette oeuvre justement, dans son fameux Fantasia. La suite ne vaut guère mieux. Bonne idée de joindre la Symphonie pour instruments à vents, si proche du Sacre dans l'esprit, encore qu'il s'agisse ici de l'enregistrement réalisé par Sir Simon en 2007, déjà publié à l'époque et toujours disponible dans un coffret économique de la série dédiée au chef britannique et consacré tout entier au compositeur russe. Mais où sont passées la verdeur, la verve, la fraîche originalité de cette page toujours un peu méconnue? Mêmes remarques pour un Apollon Musagète en panne d'inspiration. Sir Simon a d'ores et déjà programmé son départ de Berlin. Peut-être est-ce une sage décision car cette nouvelle parution laisse paraître de manière une peu voyante l'expression d'une trop évidente routine.
Bernard Postiau
Son 9 - Livret 8 - Répertoire 10 - Interprétation 5

Les commentaires sont clos.