Le retour de Pénélope dans sa patrie

par

Faure1907A Paris
Pénélope de Gabriel Fauré
Créée en 1913 à Monte-Carlo, avec un accueil mitigé, Pénélope fut vite reprise au tout nouveau Théâtre des Champs-Elysées fondé par Gabriel Astruc, toujours avec Lucienne Bréval dans le rôle-titre, cette fois avec grand succès. Les reprises avec Claire Croiza ou Germaine Lubin n’ont pas réussi à maintenir l’ouvrage au répertoire, malgré son insigne qualité musicale. Fauré était-il un compositeur d’opéra ? On aurait pu en douter depuis Prométhée, donné en plein air aux arènes de Béziers (1900), comme la Déjanire de son grand ami Saint-Saëns, et qui paraissait bien loin de la verve intime du compositeur. Et pourtant, ce deuxième essai reste un beau monument de la musique lyrique française du début du vingtième siècle, aux côtés de Louise, Ariane et Barbe-Bleue ou Padmâvati, mais pâlissant, bien sûr, devant la gloire éclatante de Pelléas et Mélisande. Loin du naturalisme ou du symbolisme ambiant, Pénélope rejoint une lignée ancienne, celle de la tragédie lyrique de Gluck et de Spontini, tradition un peu oubliée alors, hormis les opéras tardifs de Massenet (Ariane, Bacchus, Cléopâtre, que Marseille vient de remonter) ou de Saint-Saëns (Hélène, ou Les Barbares, lesquels, incidemment, seront redonnés à Saint-Etienne la saison prochaine). L’aura de Fauré, directeur du Conservatoire et illustre auteur de mélodies et de musique de chambre, aura préservé son second opéra de l’oubli, certes, mais non de la popularité. On le respecte, on l’admire, mais on ne le joue pas. Merci donc au Théâtre des Champs-Elysées de reprendre fièrement la succession d’Astruc : cet opéra appartient à ce théâtre et à son époque fastueuse. Une version de concert permet une écoute attentive, et l’on comprendra la réaction de Saint-Saëns, dédicataire : “Tu me fais le plus grand plaisir en m’annonçant que tu m’as dédié Pénélope. J’en ai eu même une petite émotion… “. Dès les notes initiales du prélude, parfois donné en concert, l’auditeur est plongé dans cette émotion d’un autre monde, un monde attique, qui tranche sur tout le répertoire habituel. Prélude enchaînant sur le beau choeur des suivantes, parfaitement articulé, et sur les mélismes enchanteurs de la charmante Cléone de Sophie Pondjiclis. Le premier acte est une réussite musicale totale : apparition saisissante de Pénélope suite aux interventions des quatre prétendants (Pisandre est oublié dans cette version), adorable petite danse instrumentale, imploration poignante de Pénélope appelant son époux, apparition subtile d’Ulysse en mendiant annoncé par son thème à la trompette, mystérieuses harmonies de la découverte du linceul de Laërte, air de joie furieuse d’Ulysse, calme retrouvé du crépuscule final : voilà du tout grand Fauré. Les actes suivants ne retrouveront pas cette veine heureuse. Malgré le beau livret classique de René Fauchois, le duo entre les époux languit un peu. Il faudra pour, le faire passer, tout l’art d’Anna Caterina Antonacci : jamais elle ne sera une Pénélope hiératique, sous une cuirasse de veuve éplorée. Elle est femme, une femme qui souffre, qui aime sans trop vouloir le dire. Roberto Alagna, très héroïque, lui répond bien. La star s’excitera bien au troisième acte, où l’action rebondit (“autrefois on vantait mon adresse”) : la vengeance s’accomplit et les prétendants seront bien occis. Grand choeur final, un peu plat, à la gloire de Zeus “Justice est faite”, qui sera, je ne sais pourquoi, bissé à l’issue du spectacle. Quatre bouquets de fleurs pour Alagna, un pour Antonacci. Pas très normal, ça. Signalons aussi le très sonore Eumée de Vincent Le Texier, et le ravissant prétendant Antinoüs de Julien Behr. Fayçal Karoui dirigeait un orchestre Lamoureux en bonne forme, mais pas trop subtil : le final du deuxième acte avait de fâcheux airs de bastringue. Une grande soirée pour Alagna, en bonne forme, pour une Antonacci sublime tragédienne, et surtout pour Fauré.
Bruno Peeters
Théâtre des Champs-Elysées, le 20 juin 2013

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