Le Roi Arthur chez les punks

par
King Arthur

© Carole Parodi

Un semi-opéra tel que ‘King Arthur’ sur un texte de John Dryden avec une musique d’Henry Purcell est par définition une œuvre difficile, voire impossible à monter. Car ce ‘drammatick opera’ proche du genre du ‘mask’, créé au Dorset Garden Theatre de Londres en mai ou juin 1691, est une pièce de théâtre parlé entrecoupée de passages instrumentaux ou vocaux où interviennent les solistes ou le chœur. De la partition originale non publiée, il ne reste qu’une soixantaine de séquences dévolues à des personnages secondaires, souvent surnaturels, parfois guerriers ou campagnards, alors que l’action, totalement indépendante, se concentre sur la rivalité entre Arthur, roi des Bretons, et Oswald, roi des Saxons. Pour obtenir les faveurs de la malheureuse Emmeline qui est aveugle, le premier est aidé par Merlin qui introduit le surnaturel par la magie, quand le second est soutenu par le sorcier Osmond, ce qui lui a permis d’enlever la jeune fille. Mais le dénouement de cette trame, filandreuse par sa longueur, sera heureux.
A l’Opéra des Nations, collaborent deux artistes argentins, le dynamique Leonardo Garcia Alarcon à la tête de sa Cappella Mediterranea et le metteur en scène Marcial di Fonzo Bo. La scénographie, conçue par Catherine Rankl sous les lumières d’Yves Bernard, consiste en un arrière-plan représentant une forêt selon les gravures de Gustave Doré ; de larges surfaces amovibles comme des tréteaux de foire constituent le lieu d’action qui est prolongé par une passerelle surplombant la fosse d’orchestre, ce qui permet un contact avec le public. Pourquoi transposer alors l’intrigue, fort enchevêtrée, à notre époque et demander à Pierre Canitrot et Cécile Kretschmar des costumes, perruques et maquillage nous entraînant dans un monde de loubards où punks à jeans troués et garrottés de chaînes côtoient marginaux à crinière oxygénée, venant d’on ne sait où sur le dos d’animaux empaillés ? Néanmoins au sein de ce fatras, deux ou trois belles images comme cette poétique apparition de Philidel, le génie de l’air, ou celle du Génie du Froid, sorte de Fafner à crête blanche, immergé dans un pyramidal manteau de neige. Quant à l’action, elle est confiée à de jeunes acteurs, guère convaincants, s’accommodant d’un texte en traduction française, tout aussi mal négocié.
Cependant, l’intérêt majeur de cette production réside dans la musique et dans le travail de Leonardo Garcia Alarcon qui a complété une partition lacunaire en allant puiser dans les musiques de scène de Purcell pour ‘Dioclesian’, ‘The Virtuous Wife’ ou ‘Abdelazer’. Comme toujours, à la tête de son ensemble instrumental Cappella Mediterranea, il est le moteur de cette lourde machine théâtrale en suscitant constamment des contrastes de coloris et en prêtant attention à l’expression des chanteurs. En cela, il est remarquablement secondé par le Chœur du Grand-Théâtre de Genève, admirablement préparé par Alan Woodbridge. Au niveau des solistes vocaux, il faut parler en premier lieu du ténor Ed Lyon, remarquable narrateur du Prologue, campant ensuite un guerrier, un berger, un sylvain, et aussi de la basse Grigory Shkarupa, impressionnant Génie du Froid , tout en personnifiant Eole, Lui et un prêtre. Une fois de plus, Bernarda Bobro fait valoir son timbre radieux dans les rôles de Vénus, Elle, Cupidon et une sirène, quand Keri Fuge prête une tout aussi jolie couleur à Philidel, Honneur, une sirène et une nymphe. A côté de six solistes jouant les utilités, mentionnons encore le ténor Anders J.Dahlin (Guillamar, une prêtresse et un homme) et le baryton Ivan Thirion à la fois Grimbald, Comus et un homme. Donc, chapeau à Purcell !
Paul-André Demierre
Genève, Opéra des Nations, le 30 avril 2018

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