Le sauvetage de ‘Boccanegra’ par le chef de chœur  

par

© Alan Humerose

Vous êtes le directeur d’un théâtre, à onze heures du soir précédant la première, l’on vous appelle pour vous dire que le chef d’orchestre doit être amené d’urgence à l’hôpital pour subir une opération. Que faites-vous ? Allez-vous annuler la représentation ? Ce sont les sueurs froides qu’a endurées Eric Vigié, le directeur de l’Opéra de Lausanne, à quelques heures du lever de rideau sur Simone Boccanegra.

Et c’est finalement le chef de chœur, Salvo Sgrò, qui, au pied levé, a dirigé le spectacle, en confiant la responsabilité des ensembles en coulisse au pianiste/chef de chant Jean-Philippe Clerc. Honneur à tous les deux et chapeau bas devant le maestro qui, bravement, s’est jeté dans la mêlée pour conférer un souffle dramatique à un ouvrage composite si difficile à rendre cohérent au niveau du style. Chauffés à blanc, tant l’Orchestre de Chambre de Lausanne que le Chœur de l’Opéra répondent remarquablement à son geste, même si surviennent quelques décalages de peu d’importance.

Sur scène, les solistes, tendus par une extrême concentration, font de même à commencer par Roberto Frontali, baryton qui n’affiche pas un coloris particulier avec un aigu parfois trop bas ; mais il sait ce que signifie chanter Verdi, ce que démontre son Boccanegra, bouleversant par son humanité et son amertume face à sa charge ducale continuellement contestée. Découverte sous les traits de Juliette en 2011, Maria Katzarava dessine Amelia Grimaldi avec une voix devenue ample dont elle sait arrondir les extrémités pour donner une dimension pathétique à son personnage. Le ténor espagnol Andrea Gorrotxategi prête à Gabriele Adorno un métal mordoré qui, sous l’effet de l’anxiété, peine dans la tessiture haute avant de trouver son assise au deuxième acte grâce à la sensibilité de son phrasé. Au Fiesco de George Andguladze manque le grave sonore de la basse profonde ; mais son incarnation de l’antagoniste au pouvoir est crédible, ce que l’on dira aussi du Paolo Albiani de Benoît Capt, encore un peu jeune pour un rôle de conspirateur machiavélique dont il sait déjà restituer l’arrogance. Et Alexandre Diakoff est l’image même de Pietro, intrigant venimeux en lutte contre l’ordre établi.
Pour ce qui est de la mise en scène d’Arnaud Bernard, il en faut relever l’intelligente efficacité. Sur un plateau de dimension modeste, il érige, sur les côtés, d’énormes échelles amovibles par des poulies et des cordages et, en fond, une large plateforme sur laquelle se profilera la façade du palais des Fieschi. Tout aussi fonctionnels sont le jeu de lumières conçu par Patrick Méeüs et le recours à des costumes sobres voulus par Marianna Stranska. Avant que l’orchestre ne livre les premières mesures du Prologo, une vieille, vêtue de noir, tricote en surveillant une enfant espiègle que viendra embrasser son père, le corsaire Boccanegra. Deviennent ainsi intelligibles tant la narration du rocambolesque enlèvement qu’il fera à son beau-père que l’hallucination momentanée dont le tireront ceux qui le propulsent vers le trône. Même si deux ou trois spectateurs écrasent un rire furtif, ingénieux s’avère le dispositif manuel élevant le trône ducal au-dessus de la mêlée lors de la grande Scène du Conseil. Sous l’emprise de sa terrible malédiction, Paolo Albiani demeurera rivé au sol ; et de ses entrailles seront éjectés la cage qui l’emprisonne puis son cadavre. Et le doge y retrouvera ses hardes de marinier en lesquelles il respirera l’air du large, avant de rendre l’âme en revoyant sa fille enlevée puis retrouvée. La boucle est bouclée… les lumières s’éteignent et le public décerne de longues ovations à l’ensemble de la production.
Paul-André Demierre
Lausanne, Opéra, première du 3 juin 2018

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