Le superbe papillon d' Alexander Beyer

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Avec la prestation du pianiste américain ce mardi soir, le Concours Reine Elizabeth est monté en puissance. Au détour d'un couloir dans les travées de Bozar, Claude Ledoux nous a glissé la confidence qu'il était très heureux de son imposé par Yoonji Kim. Qu’aura-t-il pensé de la prestation d’Alexander Beyer ?

Alexander_Beyer30069L'imposé était simplement superbe. Ce pianiste âgé d'à peine 21 ans qui étudie les maths à Harvard en même temps (excusez du peu) est déjà un pianiste abouti et passionnant. Son jeu est caractérisé par une grande diversité d'attaque et de préhension du clavier. Le rêve du papillon était parfaitement construit, maintenant l'attention constante du public. Il a parfaitement compris le rôle dévolu au pianiste. Tantôt membre de l'orchestre, tantôt soliste. Ses tendres phrasés étaient contrastés avec les passages à l'énergie rythmique bien dosée. A l'issue des dernières notes, le public a salué ce premier temps fort du concours. Quelques instants plus tard, il entame le Troisième Concerto de Rachmaninov. Son premier mouvement inquiète quelque peu. Sa première phrase est un peu trop concrète et accentuée. Il faut avouer que la version sensationnelle de Boris Giltburg résonne encore dans notre mémoire. Beyer joue un peu trop vers l'avant. Il manque de calme. Il se crispe un peu dans les grands accords. A partir du second mouvement sa prestation ira crescendo. Il se libère et il retrouve toute l'aisance et la musicalité si impressionnante dans l'imposé. Alexander Beyer est un pianiste magnifique ! Bravo jeune homme !

Hans_H.Suh30070Hans H. Suh a donc la difficile tâche de lui succéder sur le podium. L'imposé est moins convaincant. Il manque de tendresse et son jeu est trop direct et vertical. La sensualité tant désirée par Ledoux n'est plus vraiment au rendez-vous. La rigueur rythmique n'est pas toujours au rendez-vous non plus et il semble régulièrement s'inquiéter de ne pas être avec l'orchestre malgré les efforts de Marin Alsop. Il poursuit sa prestation avec le Deuxième de Prokofiev dont c'est la deuxième version cette semaine. Les premières mesures sont séduisantes mais on déchante. Ses phrasés manquent de diversité. Tout reste sensiblement dans la même veine. Dans les passages forte, il renforce le côté tragique et on regrette une inertie de l'articulation du poignet au moment de l'impact, rendant le son de plus en plus agressif. Prokofiev, le pianiste aux doigts d'acier ? Oui, mais … tout de même. Il déverse un flot d'octaves et d'accords martelés et systématiquement accentués tout au long de sa cadence qui devient presque un cri (ce qui est une forme d'esthétique aussi...). On frôle un peu l'indigestion. Par contre, sa technique monstrueuse peut pleinement s'exprimer dans le second mouvement. Son jeu fonctionnera mieux dans les mouvements suivants et il est brillant dans les tutti mais globalement, on remarque plus ses moyens techniques que son intelligence musicale.
Michel Lambert
Palais des Beaux-Arts, le 24 mai 2016

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