« Le temps retrouvé »

par

Œuvres pour flûte et piano de Fauré (Fantaisie op. 79), Debussy (Deux arabesques, Chansons de Bilitis), Koechlin (Sonate op. 52), Gaubert (Deux esquisses), et Enesco (Cantabile et Presto)
Toon Fret (flûte), Veronika Iltchenko (piano)
2012-DDD-62'14''-Textes de présentation en néerlandais, anglais et français-EMS VI 102

Sous ce titre proustien, le flûtiste Toon Fret et la pianiste Veronika Iltchenko nous apportent un programme de musique française en provenance d’une période souvent appelée Belle époque alors qu’elle fut en réalité enserrée entre deux guerres désastreuses (1870-1914), connut de grands misères sociales et éthiques (l’affaire Dreyfus) avant que l’euphorie coloniale et les progrès scientifiques ou industriels du début du XXe siècle ne viennent stimuler une « apocalypse joyeuse » plus inconsciente que décadente. En art, en particulier, c’est l’aube d’une modernité libératrice des conventions qui passera des délicatesses de impressionnistes aux éclats fauvistes et aux premiers morcellements cubistes. La musique a aussi connu des mutations mais elles attendront 1913 pour s’engager avec Le sacre du printemps dans les ruptures radicales. C’est précisément au quart de siècle précédent (1888-1913) que ce disque est consacré avec un instrument privilégié de la musique française de cette époque, la flûte traversière en argent, invention du bavarois Theobald Böhm adoptée dès 1860 par le Conservatoire de Paris et notablement modifiée et améliorée ensuite par les artisans français. Le résultat musical le plus célèbre est évidemment le Prélude à l’après-midi d’un faune composé en 1894, l’année même où Pierre Louys publie les premiers de ses poèmes en prose
présentés comme des traductions d’une poétesse grecque du 6e siècle avant Jésus-Christ. En réalité
cette Bilitis n’a jamais existé mais c’est la jeune prostituée algérienne Meriem de l’oasis de Biskra qui a fasciné plus d’un visiteur célèbre, de Gide à Louys et que l’on retrouve cachée sous les initiales M.b.A. de la dédicace des Chansons de Bilitis à André Gide. Si Debussy refusa d’accompagner Louys dans son périple algérien, il apprécia suffisamment l’hédonisme des poèmes pour en mettre d’abord trois en musique sous forme de mélodies avec piano, puis en accompagner une douzaine en 1901 à l’aide de deux flûtes, deux harpes et un celesta, pour un spectacle assez audacieux qui ne connut qu’une audition privée, aussi Debussy réutilisera-t-il cette musique en 1914 pour ses Six épigraphes antiques .L’idée d’en faire une suite pour flûte et piano a donné a lieu à plusieurs transcriptions dont celle éditée en 1984 sous le titre Chansons de Bilitis, par le flûtiste et pédagogue allemand Karl Lenski. La pièce de Debussy pour flûte seule, intitulée Syrinx, date de 1913 et avait donc sa place logique dans ce programme où l’on a inséré également les deux Arabesques pour piano de 1888-1890.
La prédilection des compositeurs français pour la flûte est largement représentée par d’autres compositeurs de la même époque depuis Gabriel Fauré avec une Fantaisie pour flûte et piano de 1898 jusqu’au français d’adoption George Enescu avec une œuvre de jeunesse de 1904 (Cantabile et Presto) ? Mais à côté de Deux esquisses (1914) de Philippe Gaubert, c’est surtout la Sonate op.52 de Charels Koechlin qui, avec Debusst, domine cet intelligent programme car c’est une œuvre d’une impressionnante complexité, au point que Koechlin pensa même en faire une partition d’orchestre.
Artiste bien connu, cheville ouvrière du groupe Oxalys, Toon Fret est accompagné ici par
Veronika Iltchenko, une pianiste russe installée à Bruxelles depuis l’année 2000 et qui s’était déjà fait remarquer par un brillant enregistrement des Tableaux d’une exposition.
Frans Lemaire

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