Les amants de Vérone à travers les temps

par

© Salzburger Festspiele / Silvia Lelli

La cinquième édition des Pfingstfestspiele
(Festival de Pentecôte) de Salzbourg sous la direction artistique de Cecilia Bartoli avait pour thème Romeo und Julia.
Comme les années précédentes, le thème était développé dans des manifestations diverses : spectacles d’opéra et de ballet, concerts et récitals, récits et projections de films.
Pas vraiment un spectacle d’opéra cette fois-ci, mais du théâtre musical puisque c’est le musical West Side Story de Leonard Bernstein qui avait été choisi, cette version américaine de l’histoire des amants de Vérone, transposée dans le New York des années 1950. Une gageure ? Apparemment non, puisque les deux représentations ont été jouées à bureaux fermés et accueillies par des ovations. Et la série prévue au festival d’été au mois d’août afficherait aussi complet. Et pourtant….
Qu’un musical du niveau de West Side Story fasse son entrée au Festival de Salzbourg est sûrement défendable. Mais on peut se demander si l’idée de présenter le spectacle comme un « flash back » de Maria l’est autant. Qu’est-elle devenue après la mort de Tony ? Apparemment, elle gère l’atelier de confection et de robes de mariée où elle travaillait jadis. Parcourant les rues de New York, elle pense au passé et revoit son idylle avec Tony. Et le spectacle débute vraiment avec les confrontations des Jets et des Sharks. Maria (Cecilia Bartoli) en est le témoin silencieux et se revoit, jeune et vive (Michelle Veintimilla), participant à l’action et aux dialogues. Mais dès qu’il faut chanter, c’est Cecilia Bartoli qu’on entend. La formule n’est pas la plus réussie. Malgré son engagement, Bartoli ne fait souvent que la figuration intelligente ; et l’entendre en duo avec Tony alors qu’il a l’autre Maria dans ses bras, ce n’est pas le plus réussi. Elle chante avec émotion et s’intègre dans le « sounddesign » général mais elle s’écarte de son répertoire de prédilection. Le spectacle présenté sur la grande scène de la Felsenreitschule (mise en scène de Philip W.M. McKinley, décors de George Tsypin, costumes d’Ann Hould-Ward et chorégraphie de Liam Steel) impressionne mais il ne captive pas toujours et manque parfois de tension, surtout dans les scènes de dialogues. Pour Maria, le retour sur son passé est finalement trop pénible et elle se jette sous les roues du métro pour retrouver définitivement Tony. Si certaines scènes manquent un peu de punch, on trouve du tempérament à revendre avec l’ensemble « America » mené par l’excellente Karen Olivo, une Anita pleine de feu qui brûle les planches, et chante et danse comme une vraie musical-star. Bravo aussi à Michelle Veintimilla qui donne fraîcheur et émotion à la jeune Maria. Norman Reinhardt prête son souple ténor expressif à Tony et remporte le succès vocal de la soirée. Bien sorti de l’adolescence, c’est un acteur engagé qui peut crédibiliser son personnage. Le Bernardo de George Akram est par contre trop pâle et le Riff de Dan Burton aurait pu montrer davantage de caractère.Bonnes prestations de Cheyne Davidson (Doc), Dave Moskin (Schrank) et Daniel Rakasz (Krupke). Les ensembles des Sharks, des Jets et de leur girls sont convaincants, comme le Salzburger Bachchor dans un emploi bien surprenant. Dans la fosse, le Simon Bolivar Symphony Orchestra of Venezuela sous la direction de Gustavo Dudamel donnait du feu latin à la partition de Bernstein mais le son, assez massif, aurait gagné à plus de nuances.
En version concert, le festival présentait l’opéra Giulietta e Romeo de Nicola Antonio Zingarelli (1752-1837) qui fut créé à Milan en 1796 et resta dans le répertoire jusqu’à 1830, soutenu par des castrats tel Girolamo Crescentini et des divas comme Giuditta Pasta ou Maria Malibran. Il est vrai que la partition de Zingarelli fait grand cas des talents vocaux et dramatiques. Zingarellli est souvent considéré comme un des derniers représentants de la grande tradition musicale napolitaine, mais ses œuvres du type « opera seria » n’ont pas survécu, à l’opposé des « opera buffa » de ses contemporains Paisiello et Cimarosa. Le livret de Giuseppe Maria Foppa fait la part belle à Everardo, le père de Giulietta qui l’oblige à épouser Tebaldo. Il n’y a pas de frère Laurent mais un Gilberto qui veut réconcilier les deux familles ennemies, et aussi Matilde, une amie de Giulietta. Les grands moments vocaux reviennent surtout à Romeo, interprété avec flamme et virtuosité par le contre-tenor Franco Fagioli, convaincant par son engagement dramatique et sa richesse vocale. La mezzo Ann Hallenberg offre une Giulietta anxieuse, à la voix nuancée et expressive. Le ténor Bogdan Mihai exprime la détermination d’Everardo d’un voix ferme et bien conduite. Bonne prestations aussi de Xavier Sabata (Gilbert), Juan Sancho (Tebaldo), Irini Karaianni (Matilde) et du chœur Armonia Atenea. George Petrou menait les solistes et l’orchestre Armonia Atenee dans une exécution soignée mais manquant de force dramatique.
La danse fait aussi partie du programme du festival et il n’était pas difficile de trouver une chorégraphie inspirée par les amants de Vérone. C’est le ballet Roméo et Juliette de Prokofiev, dans la chorégraphie de John Cranko, qui était proposée par le Stuttgarter Ballett. Cette grande compagnie allemande, familière de John Cranko, n’a pas déçu. Elle connait comme personne le style du grand chorégraphe, et le ballet de 1962, dans les décors suggestifs de Jürgen Rose, n’a rien perdu de sa force interprétative et dramatique. Alicia Amatriain et Friedemann Vogel font un couple de rêve, Pablo von Sternenfels un Mercutio virtuose, et tout l’ensemble est très convaincant. James Tuggle dirigeait le Mozarteumorchester Salzburg avec élan.
Pour le gala final, les Wiener Symphoniker avaient pris place sur la scène du Grosses Festspielhaus. Dirigés avec autorité par Marco Armiliato, ils ont interprété des pièces de Gounod, Tchaïkovski, Bellini, Zandonai, Rota et Prokofiev qui évoquent Roméo et Juliette. Mais le public était là surtout pour Angela Gheorghiu et Juan Diego Florez avec le jeune ténor Benjamin Bernheim. Avec Gheorghiu, il a donné le madrigal du Roméo et Juliette de Gounod et, en soliste, l’air de Romeo « Giulietta son io » de Giulietta e Romeo de Zandonai. Bernheim n’a pas le timbre le plus agréable et la voix manque un peu de souplesse, mais il projette le texte très clairement, ce qui n’est pas le cas de Gheorghiu ! La diva, dans des tenues somptueuses, avait choisi une mélodie de Nino Rota extraite du film Romeo and Juliet de Franco Zeffirelli, puis le duo « Va, je t’ai pardonné » du Roméo et Juliette de Gounod, avec Juan Diego Florez. Le ténor péruvien avait déjà chanté l’air de Roméo « Ah, lève- toi soleil ». Des airs très attendus et applaudis. Mais, malgré toute sa virtuosité, on peut se demander si la voix de Florez est idéale pour cet emploi. Des bis -bien sûr !- pour un public surexcité : La donna e mobile pour Bernheim, des mélodies sud-américaines (avec guitare) pour Florez et O mio babbino caro pour Gheorghiu.
Le thème de 2017 sera « Wonne der Wehmut » (Joie de la mélancolie) avec Ariodante de Händel), La Donna del Lago de Rossini et un concert-jubilé d’Anne-Sophie Mutter.
Erna Metdepenninghen
Salzburg, Festival de Pentecôte, les 13, 14, 15 et 16 mai 2016

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