Les choix multiples de Kremer...

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La Kremerata © Damil Kalogjera

Kremerata Baltica/Gidon Kremer (violon et direction)
Pour le dernière soirée de la série de concerts qu’offraient depuis le début de l’année Gidon Kremer et la Kremerata Baltica, le violoniste d’origine lettonne et son brillant ensemble de jeunes musiciens triés sur le volet avaient choisi d’offrir au public d’un Studio 4 de Flagey bien rempli (et on y retrouvait les compositeurs Victor Kissine et Giya Kantcheli, sans parler de Martha Argerich elle-même), un programme sortant résolument de l’ordinaire.

En allant écouter Gidon Kremer, on sait à quoi s’attendre, car, quel que soit le répertoire qu’il aborde, ce grand musicien joue avec une implication et une flamme de tous les instants. Et même si son jeu qui refuse toute séduction extérieure peut avoir quelque chose de crispant par moments, et si sa sonorité parfois âpre et astringente n’est pas des plus immédiatement séduisantes, ceci ne pèse pas très lourd au regard de tant de sincérité et de cet engagement total en faveur de la musique qui est la marque de fabrique de ce vrai artiste. On sait aussi que, loin de se contenter de toujours ressasser les mêmes chevaux de bataille du répertoire, Kremer a toujours fait preuve d’une saine curiosité pour la musique de son temps, comme en témoignait le programme qui commença par Flowering Jasmine, mini-concerto pour violon, vibraphone (Andrei Pushkarev) et cordes du compositeur letton Georgs Pelecis, oeuvre mélodieuse, charmante, consonante, anodine, et qui ferait de l’excellente musique d’ascenseur. Suivit alors le Concerto pour violon n° 2 « The American Four Seasons » de Philip Glass (2010). S’il est impossible de trouver quoi que ce soit à redire sur la qualité de l’interprétation du soliste comme de l’orchestre, cette longue oeuvre (preès de 40 minutes) si invariablement consonante et rythmiquement monotone a de quoi consterner, même si elle devrait ravir ceux qui trouvent que la musique classique serait belle si elle se contentait juste d’être bêtement mélodieuse avec un orchestre qui mouline sagement dans le fond. On ose à peine le dire, mais c’est vraiment du chewing-gum pour les oreilles. L’exécution était agrémentée de projections vidéo d’oeuvres de différents artistes, dont de plaisantes animations du Danois Pingo van der Brinkloev et des films du cinéaste-culte américano-lituanien Jonas Meras, dont les images saccadées et surexposées me faisaient assez penser aux films super 8 que tournait mon père en son temps (sauf que Andy Warhol, John Lennon, Yoko Ono et Allen Ginsberg n’y apparaissaient pas). Artiste engagé et sensible, Gidon Kremer entama la deuxième partie du concert par le bref et émouvant Requiem pour l’Ukraine pour violon seul de Igor Loboda, alors que la salle était plongée dans l’obscurité. Le soliste laissa alors la scène à l’excellente Kremerata Baltica pour une version pour cordes et percussion des Tableaux d’une exposition de Moussorgski, où la remarquable discipline et la riche sonorité de l’orchestre jouant à présent sans chef firent forte impression dans un arrangement (Jacques Cohen et Andrei Pushkarev) diablement efficace, même s’il n’est pas facile de se purger l’oreille de l’orchestration de Ravel. L’oeuvre était agrémentée de projections de tableaux assez violemment expressionnistes -et parfois d’un grotesque très ensorien- du peintre russe Maxim Kantor. Le problème, c’est que la primauté du visuel dans nos sens a trop souvent pour effet de ramener la musique, aussi excellente soit-elle, a une simple musique de fond. Gidon Kremer revint ensuite sur scène pour clôturer la soirée par une poignante exécution de la Sérénade pour violon seul du compositeur ukrainien Valentin Silvestrov, dédiée « à la mémoire des victimes du totalitarisme russe » dont les noms défilaient à l’écran. Ce fut un moment saisissant, où la musique -par sa retenue même- exprima une douleur mieux que ne l’auraient su faire les mots les plus éloquents, qui auraient ici sonné creux.
Patrice Lieberman
Bruxelles, Flagey, le 29 avril 2015

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